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et se trouver toujours au moment propice pour donner un bon conseil, particulièrement à propos des relations et des démêlés avec les puissances européennes, — faire ressortir à leurs yeux la différence entre l’amitié désintéressée du tsar et les procédés des souverains des autres pays, les exciter indirectement à la résistance, les engager même dans des embarras et les pousser à des actes d’hostilité envers les nations occidentales, ce qui ne ferait que mettre en relief le caractère éminemment pacifique de leurs rapports avec le gouvernement de Pétersbourg, puis un jour se rendre indispensable et faire sentir alors aux Japonais qu’ils ne peuvent être sauvés que par la protection toute-puissante des tsars.

Le rôle d’un agent russe imbu et muni d’instructions de ce genre devenait assez embarrassant, s’il résidait dans la localité où se trouvaient les autres représentans européens, et il lui aurait été impossible de rester neutre en présence de leurs fréquentes protestations, faites habituellement sous la forme de notes collectives. L’amiral Putiatine prévit si bien toutes ces difficultés que pour les détourner il stipula dans le premier article du traité signé par lui avec le Japon que la légation russe pourrait s’établir non à Yeddo, mais à Hakodadé, l’un des ports les plus insignifians parmi ceux qui furent ouverts aux étrangers, le plus éloigné du mouvement commercial européen, mais appelé par sa position vers le nord, dans le détroit de Sangar, à commander un jour de ce côté l’entrée de la mer japonaise. La position isolée de Hakodadé, visité à peine par quelques baleiniers américains, rend l’importance du représentant du tsar d’autant plus frappante, lui laisse une liberté qu’il ne trouverait pas, dans la capitale du Japon, assure à la propagande russe des facilités qu’elle n’aurait pas ailleurs.

Tout se prête du reste à ce mirage. La résidence de l’envoyé moscovite, placée au sommet d’une montagne, domine la ville qui s’étend en amphithéâtre à ses pieds, et, comparée aux habitations fort simples des autres agens européens, elle ressemble à un palais de quelque gouverneur du pays. Entourée d’une haute muraille et d’une vaste esplanade, elle a l’aspect et les avantages d’un camp retranché. L’enceinte enfin contient les bureaux, les logemens des employés, un hôpital de trente ou quarante lits pour les malades de l’escadre russe, une école pour les jeunes Japonais, et toutes les dépendances dont aiment à s’environner les diplomates moscovites à l’étranger. Le pavillon russe flotte ainsi au-dessus de tous les autres, et semble être là parfaitement chez lui. De l’autre côté de la baie, il y a encore des bains pour les équipages, des boulangeries, des magasins et autres établissemens indispensables à une station maritime solidement constituée. C’est dans les villages voisins et chez les marchands de Hakodadé que les états-majors et les