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destinée à repousser les attaques des navires de bois dont se composent ordinairement dans ces régions reculées les escadres européennes. Elle pourrait encore, au besoin, jouer vis-à-vis de la Chine et du Japon le rôle que la flotte de Sébastopol a joué vis-à-vis de la Turquie à Sinope. La seconde division, destinée exclusivement à la course, serait composée de navires légers, bons marcheurs, et de sept ou huit frégates capables de tenter de ces coups de main dont s’est préoccupé plus d’une fois le commerce anglais. On a décidé à Pétersbourg qu’on consacrerait à la construction de la première division les sommes destinées d’abord à élever des fortifications sur différens points des possessions russes dans ces parages. On est arrivé de cette façon à pouvoir disposer de ressources considérables qu’on emploie à fonder de nouveaux ateliers et à préparer des armes défensives, sur lesquelles on fonde de grandes espérances. Quant à la division de corsaires, elle est toute construite, et sans la pénurie d’argent, jointe au manque d’équipages qui se faisait sentir à Cronstadt vers cette époque, il est probable que les trois frégates et les trois corvettes qui ont paru à New-York dans l’hiver de 1864 n’auraient pas été toute la force de l’escadre russe de l’Atlantique.

Depuis la guerre d’Orient, l’amirauté russe s’est occupée incessamment et presque exclusivement de la construction de cette marine multiple, et quoique les machines de ces navires n’égalent pas celles des navires anglais, français ou américains, il est certain toutefois qu’on a obtenu sous quelques rapports des résultats qui ne laissent pas d’être remarquables. Quant au nombre réel de ces bâtimens, il serait assez inutile de se fier aux chiffres que donnent les journaux officiels, par cette raison bien simple que ces chiffres sont faits pour tromper l’Europe et peut-être l’empereur lui-même. Toute défalcation faite des navires qui, pour cause de vétusté ou pour d’autres défauts, ne peuvent être pris au sérieux, on pourrait cependant admettre que cette escadre de Vladi-Vostok compte une trentaine d’assez beaux navires, frégates, corvettes, bâtimens légers, les uns de 400 à 600 chevaux de force nominale, les autres de 300 à 400, les derniers de 200 à 300. — Que peuvent faire ces corsaires russes, dira-t-on ? Est-ce qu’ils sont en état de soutenir la lutte, et ne sont-ils pas assurés de périr dès qu’ils seront aux prises avec les forces d’une des grandes puissances maritimes ? C’est une perspective que dans notre confiance naturelle d’Occidentaux nous devons admettre ; nous irons plus loin : le gouvernement russe l’admet lui-même. Il ne prétend nullement avoir une escadre invincible, et il se fait au fond peu d’illusions sur le sort de cette poignée d’enfans perdus sacrifiés d’avance, comme ces soldats qu’on envoie enclouer une batterie ou enlever une position extrême. Le gouvernement russe ne compte ni sur des succès éclatans ni sur