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nord, entre l’île et le continent, à travers le détroit de Tartarie. Ces méprises, si tant est qu’elles aient eu la portée que leur attribuent les officiers russes, sont le résultat inévitable du peu d’intérêt qu’excitent d’habitude les péripéties dont cette partie du monde est le théâtre, et ce peu d’intérêt explique à son tour comment les ambassadeurs et agens de toute sorte, envoyés en éclaireurs du monde civilisé vers les contrées de l’extrême Orient, arrivent si souvent avec une provision légère ou incomplète de notions utiles et de renseignemens. Plus intéressée, la Russie est aussi mieux renseignée, et par cela même elle a facilement l’avantage. On allait en avoir encore une fois la preuve.

La situation était celle-ci. Les négociations semblaient engagées entre les représentans des quatre puissances, agissant en commun, et la Chine. Par le fait, l’action des plénipotentiaires était très différente, et cette différence était tout à l’avantage de la diplomatie moscovite. L’amiral Putiatine, avec son habileté ordinaire, n’avait pas eu de peine à persuader à ses collègues d’Europe que le différend entre le cabinet de Pétersbourg et la Chine se réduisait à une rectification de frontières peu importante, à la réparation de quelques dommages essuyés par des sujets russes. Il réussit de cette façon à rester vis-à-vis des Chinois dans une attitude à demi expectante. Pendant que les plénipotentiaires alliés passaient des représentations aux menaces pour finir par une déclaration de guerre et par l’occupation de Tien-tsin, Putiatine, de son côté, faisait tout son possible pour paraître désolé du retard mis à l’arrivée de sa flotte, et en réalité il poursuivait des négociations par des voies jusqu’ici assez peu connues, ce nous semble. Les seuls Européens autorisés depuis quelques siècles jusqu’à ces derniers temps à habiter Pékin étaient les moines de la mission religieuse russe qui se trouvaient en même temps chargés des affaires diplomatiques des tsars dans l’empire du Milieu. Ce fut à l’intermédiaire de ces moines que l’amiral Putiatine recourut pour arriver plus promptement à une entente avec le gouvernement chinois, et il s’en trouva si bien que, entré à Tien-tsin à la suite des alliés, sans avoir combattu, sans avoir même sa flotte, il fut cependant le premier à signer un traité. Faisant ensuite ressortir la différence entre les procédés du gouvernement du tsar et l’attitude impérieuse des puissances de l’Occident, il sut se faire accepter comme conseiller par les Chinois, et se présenter, d’un autre côté, comme un intermédiaire précieux aux ambassadeurs de France et d’Angleterre, en s’imposant presque comme un médiateur de fait entre les parties belligérantes.

Le traité conclu à Tien-tsin entre la Chine et la Russie