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parole de l’esprit quelques secrets ne se seraient point révélés, en sorte que je n’aie plus besoin de dire avec des sueurs d’angoisse ce que je ne sais pas, que je reconnaisse enfin ce qui maintient l’univers dans ses profondeurs, que je contemple toutes les forces actives et les germes, et ne fasse plus un vain trafic de paroles que je ne comprends plus. » Il n’a que trop bien réussi. Le monde des esprits est à ses ordres, et Méphistophélès paraît devant lui. Alors éclate cette lutte suprême, décisive, entre le docteur, qui veut mourir tout entier avec le vieux monde où il a vécu et qu’il écrase sous un magnifique anathème, — et Méphistophélès, qui se moque de cette triste sagesse du désespoir et propose de lui apprendre ce qu’il ne sait pas, ce que c’est que la vie. « Non ! répond Faust ; sous tous les vêtemens, je sentirai les misères de l’étroite vie terrestre. Je suis trop vieux pour m’en tenir aux amusemens, trop jeune pour être sans désir. Le monde, que peut-il me donner ? « Renonce, il le faut ! il le faut, renonce ! » Voilà l’éternel refrain qui résonne aux oreilles de chacun, et que durant notre vie chaque heure nous chante d’une voix enrouée… Le dieu qui habite en mon sein peut émouvoir profondément tout mon être ; lui qui règne sur toutes mes forces, il ne peut les faire agir au dehors, et par là l’existence est un fardeau pour moi ; je désire la mort, je hais la vie… Ah ! maudit tout ce qui entoure notre âme de séductions et de prestiges ! Soit dès ce jour maudite la haute opinion dont l’esprit s’enveloppe lui-même ! Maudits soient les prestiges de l’apparence qui s’empare de nos sens ! Maudite l’imposture qui, dans nos rêves, nous montre un fantôme de gloire et d’immortelle renommée !… Maudit soit le suc embaumé du raisin ! maudites les suprêmes faveurs de l’amour. ! maudite l’espérance ! maudite la foi ! Et maudite, avant tout, la patience ! » L’antique univers s’écroule bruyamment avec tous ses prestiges et toutes ses richesses, avec toutes ses réalités et ses mensonges, avec toutes les vertus qui en faisaient la vraie parure et les illusions qui en faisaient la splendeur, monde mêlé d’être et de néant, de bien et de mal, théâtre disposé pour l’activité de l’homme plus que pour son bonheur.

Un monde nouveau, plus brillant et plus magnifique, mais plein de mensonges, sans aucune des réalités ni des vertus qu’il a maudites, se révèle à l’imagination abusée de Faust. L’illusion déployée par un art magique s’élève, s’étend autour de lui, l’enveloppe et l’entraîne. À ce moment, Faust ne nous appartient plus, il entre dans une vie nouvelle. Le drame commence. Marguerite n’est pas loin, et avec elle les amours charmantes et fatales, les enchantemens, les délires, les crimes, toutes ces émotions qui s’enchaînent