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est éloigné ne saurait calmer l’agitation profonde de son cœur. » À ces signes, le Seigneur, dans le prologue au ciel, reconnaît son serviteur. « Tout égaré qu’il est, il me sert encore, et je le conduirai bientôt à la lumière. » Ainsi la bonté de Dieu aperçoit jusque dans les tempêtes furieuses qui agitent cette âme le signe de son élection et le titre de sa grandeur. Et de fait après les terribles épreuves que lui suscite l’enfer qu’il porte dans son propre cœur, l’enfer de ses passions, Faust sera sauvé.

Le désir de la vérité, la douleur de ne la pouvoir atteindre, n’est-ce pas là en effet le double titre de l’homme ? Faust est en même temps et cette misère et cette grandeur dont parlait magnifiquement Pascal. Il ignore, mais il sait qu’il ignore. Il doute, mais il souffre de douter. Tandis que Méphistophélès nie en riant et jette son froid sarcasme à travers le ciel et la terre, Faust se lamente et se désespère. Ces deux natures d’intelligence sont éternelles dans le monde et s’incarnent dans deux races qui se perpétuent à travers les siècles. Dans tous les temps se renouvelle cette triste famille d’esprits à la fois frivoles et insolens, les vrais fils de Méphistophélès, qui semblent nés pour faire la nuit ou la ruine partout où ils passent, railleurs implacables de tout effort héroïque de la volonté ou de la pensée, et dont l’activité perverse ne s’applique qu’à paralyser l’activité divine de l’homme, l’éternelle ouvrière du progrès. Il serait injuste de confondre avec cette race, née de Méphistophélès, les frères de Faust. Ceux-ci, même dans leur éloignement, restent encore dignes de la vérité. Si parfois ils en désespèrent, c’est pour l’avoir trop aimée. Le doute satanique a pour point de départ et pour but le néant ; le doute vraiment humain vient de l’infini et y retourne. L’un nie qu’il y ait nulle part ni bien ni mal, ni vrai ni faux ; l’autre se tourmente d’entrevoir à chaque instant des lueurs de la divine aurore et de les perdre sans cesse. L’un est une négation et un blasphème, l’autre est une aspiration de l’homme, du fond de ses ténèbres et de ses angoisses, vers la paix et la lumière. En un sens, il est encore une affirmation ; dans quelques intelligences, il se change en une sorte de supplication, il devient presque une prière.

Si jamais ce désespoir dut agiter certaines âmes profondes et sincères, ce fut vers la fin de ce XVe siècle, à l’époque où la légende a placé la vie fabuleuse de Faust, sur ces limites confuses qui séparent la scolastique expirante du grand mouvement de la renaissance. La science officielle des universités était comme un vaste corps de doctrines dont l’âme s’était retirée. Elle ne subsistait plus que par la vénération qui s’attache aux choses antiques et par l’impossibilité de la remplacer. L’enseignement des écoles irritait l’intelligence par ses promesses et la trompait par son néant. Il faut