philosophie de la création. Que le lecteur veuille bien se souvenir de la conception fondamentale du poète-philosophe sur le principe et l’origine des choses : tout vas éclaircir à ses yeux. La création est pour Goethe l’éternelle évolution de la substance toujours en acte qui, du fond de l’éternité, réalise sans trêve tous les possibles. La nature est la série des forces et des formes, infinie dans le temps et dans l’espace : les forces et les formes composent une chaîne immense qui relie le plus humble et le plus obscur phénomène aux plus glorieuses manifestations de l’éternelle substance, sans qu’il y ait nulle part une solution dans l’immense et vivante chaîne de l’être. Dieu, voilà le nom à la fois vulgaire et sacré de cette puissance de vie qui maintient la perpétuité de l’être dans la perpétuité du temps. A proprement parler, Dieu n’est pas un être, il est l’être. Deux grandes choses manifestent sa présence : dans l’âme humaine, c’est l’amour, c’est la joie, qui n’est que le sentiment de l’accroissement de notre être ; dans le monde physique, qui n’est distinct qu’en apparence de l’autre, c’est le soleil, puissance fécondante. L’amour et la lumière, voilà les deux agens de la vie universelle, les signes de Dieu dans le monde.
Cependant quel ennemi secret « oppose sa main glacée à cette puissance éternellement active, salutaire et créatrice ? » A mesure que s’étend ou que se répare la trame de l’être, quelle malfaisante industrie s’applique à rompre ou à nouer les fils du divin tissu ? Que la vie est prompte à combler les vides dans les générations humaines qui se pressent à travers les siècles ! mais que la mort est rapide à les ouvrir ! Dans cette série infinie et si habilement liée des forces et des formes qui composent la nature, quelle force a en soi un principe suffisant de durée ? Elle éclôt un jour, elle produit à la hâte quelques-uns des effets qui dorment dans son sein, elle s’épuise dans l’effort de sa production, et tout ce qu’elle peut faire, c’est de léguer son éphémère fécondité à une autre force qu’elle a excitée à la vie et qui la transmettra à son tour. — Que ces formes dont la nature est remplie sont harmonieuses ! que la beauté est belle ! mais hélas ! avons-nous le temps seulement de les contempler, au moins dans l’ordre le plus élevé de ces formes, au degré supérieur où, dans l’organisme le plus merveilleusement préparé, éclôt la vie ayant conscience d’elle-même ? Il semble que la bienfaisante nature n’ait le droit de nous montrer qu’un instant ces formes enchanteresses, cette Hélène éternelle de la poésie, et que la jalousie de quelque dieu inconnu nous envie même ces idéales voluptés de la. contemplation désintéressée. A peine achevées dans leurs gracieux contours, dans l’harmonieuse proportion de leurs parties, ces formes divines s’altèrent, dépérissent, se décomposent. La beauté, cette