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grecque. Sa trilogie de Prométhée n’était rien moins, aux yeux des Grecs, que les archives sacrées des révolutions célestes, des avènemens et des chutes des dynasties divines dans l’éternité mystérieuse du vieil olympe. Le drame chez lui porte le signe de son origine hiératique. Il est sorti du temple, et il en conserve l’ineffaçable caractère. Issu des théogonies antiques, il en a retenu la solennité et la terreur.

Combien différent est le Prométhée moderne, celui de Byron, celui de Shelley, celui de Goethe ! Ici c’est un Prométhée philosophe, qui n’a plus rien d’antique ni de religieux, et dans lequel chacun de ces grands poètes a cherché à retracer le modèle qu’il portait en lui. Le Prométhée de Byron, dans une pièce célèbre de ses mélanges, c’est l’homme en lutte avec la destinée, en triomphant par l’indomptable essor de sa liberté, rompant cette trame et ces pièges du sort dans lesquels les faibles seuls restent captifs, se faisant à lui-même son sort et ses destins. Le drame de Shelley célèbre la délivrance du vieux captif du Caucase par l’avènement d’une foi nouvelle, la foi à la puissance de la nature, seule maîtresse, seule reine, la mort des vieilles superstitions, la destruction des vieilles tyrannies. L’idée de Goethe tient le milieu entre celle de Byron et celle de Shelley. La croyance philosophique qui l’inspire, c’est la grande antithèse du destin, résumant toutes les lois mécaniques et physiques dont se compose l’ordre universel, et de l’activité libre, qui n’a de limites que la fatalité des choses ; c’est l’opposition et le rapport de la nature et de l’homme qui s’agite au sein de l’ordre universel, s’en distinguant par sa volonté, sans pourtant arriver à s’en séparer jamais ; c’est le problème de la liberté humaine de toutes parts enveloppée par la nécessité : pure illusion selon le spinozisme conséquent, insoluble énigme pour les panthéistes tels que Goethe, qui ne vont pas jusqu’au terme de la logique, aussi loin que les conduit le principe de l’unité absolue. Il n’y a que deux réalités, selon Goethe, en face l’une de l’autre : la nature avec l’ensemble des fatalités dont elle se compose, l’homme avec sa pensée et sa volonté libre. Toute puissance qui ne serait ni la nature ni l’homme ne pourrait trouver son rôle et sa place dans l’ordre des choses éternelles. L’universelle fatalité la rendrait inutile et par conséquent la supprimerait. S’ils existaient, ces pouvoirs supérieurs à l’homme ne seraient eux-mêmes que les vassaux du destin, et dès lors de quel droit régneraient-ils sur nous, étant vassaux comme nous ? Osons suivre jusqu’au fond la pensée de Goethe sous le transparent symbole emprunté au vieil Eschyle. — Il n’y a que les enfans en détresse qui puissent lever au ciel leur regard avec leur prière. Il n’existe pas là-haut un cœur