extrême, ne savent comment faire. Il y a là de malheureux soldats qui, sur leurs quinze jours de congés en ont déjà passé cinq à solliciter en vain le transport gratuit auquel ils ont droit. La condition de ces malheureux est désolante : pas un sou dans leur poche, car leur paie ne doit leur être comptée qu’à Washington, — et le temps passe dans l’attente vaine d’une justice qu’on ne veut pas leur faire. C’est là le plus grand vice de l’organisation militaire américaine : soldes, transports, feuilles de route, tout reste incertain et irrégulier. Les droits du gouvernement et les devoirs des compagnies de chemins de fer ne sont pas encore bien fixés. Les soldats, blessés ou valides, au lieu d’être conduits à leur destination sous la garde et sous la protection du gouvernement, sont livrés à eux-mêmes et doivent se tirer d’affaire tout seuls. Que de fois dans les salles d’attente encombrées, où à peine ils trouvaient une chaise pour se reposer, ou bien sous la pluie et la neige durant de longues heures, ou bien dans la foule inattentive qui les bousculé, se frayant péniblement un chemin jusqu’au wagon où ils cherchent à se hisser avec leurs mains débiles, — que de fois n’ai-je pas vu des malades, des blessés, des amputés sur leurs béquilles, avec l’expression de la souffrance sur leurs visages pâles, mais sans plaintes ni murmures contre la négligence du gouvernement qui les jetait ainsi mutilés à la porte de ses hôpitaux ! — Aujourd’hui les pauvres gens ne savent à qui s’adresser, où trouver un appui. Ils viennent, faute de mieux, parler au général, qui ne peut rien. C’est là un de ces exemples de laisser-aller qui me font regretter notre administration minutieuse et omnipotente ; mais les Américains n’en sentent pas le défaut.
Après un long retard, de vaines impatiences, des pourparlers éternels, nous voilà enfin repartis, bourrés à étouffer dans un car où nos officiers recommencent leurs bruyans jeux de cartes. Bientôt les bouteilles de whiskey sortent des poches, elles circulent à la ronde, passent et repassent maintes fois, recevant de chacun une vigoureuse accolade : plaisirs et gaieté de soldats.
Nous arrivons à Annapolis-Junction, lieu désert où s’embranche le chemin de Washington : ici trois heures d’attente, la glace, la bise, et les deux auberges, seules maisons du hameau, fermées par ordre du ministre de la guerre pendant le passage des troupes. Nous frappons en vain aux portes closes, aux fenêtres vitrées. A la fin, le capitaine H…, moitié diplomatie, moitié menaces, en fait ouvrir une pour le général et son état-major : nous nous y précipitons au nombre de trente environ. Les dames, les blessés sont introduits dans la salle voisine ; nous autres, avec notre whiskey et nos cigares, nous prenons possession d’une grande chambre humide, dépeuplée de chaises. D’abord nous accomplissons