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rassemble momentanément par l’appât du gain des individus épars que l’espérance d’un nouveau gain dissémine. Il n’y a pas une armée mercenaire qui puisse durer trois années sans se renouveler incessamment. A peine est-elle organisée qu’elle commence à fondre. Le feu seul, la rude discipline et les dangers de l’évasion peuvent la tenir en main quelques mois. Les rebelles tirent le canon toutes les nuits pour empêcher la désertion de leurs hommes. Du reste la désertion ne fait pas moins de vides dans l’armée fédérale que dans l’armée rebelle. Du mois de mai 1863 au mois de septembre 1864, on a compté jusqu’à 60,000 déserteurs. Il y a toute une classe d’aventuriers dont le métier est de s’engager et de se réengager sans cesse en plaçant chaque fois leur prime en lieu sûr, jusqu’à ce qu’on les découvre et qu’on les fusille. On a vu de ces coquins qui avaient volé successivement jusqu’à dix-sept bounties. Il ne se passe pas de semaine à l’armée qu’on n’exécute plusieurs de ces bounty-jumpers, comme on les appelle ; mais il est rare qu’on arrive à découvrir l’homme véritable sous la couche épaisse de faux noms dont il s’est revêtu. Ils font ainsi de régiment en régiment le tour de l’armée. S’ils ont simplement déserté, on les fusille en soldats, s’ils ont passé à l’ennemi, on les pend comme des traîtres. Le gouvernement de Richmond fait tout ce qu’il peut pour encourager leur profession. Il leur offre bon dîner, bon gîte, et passage gratuit sur ses blockade-runners pour s’en retourner dans leur pays. La plupart de ces industriels sont Irlandais, Canadiens ou Allemands. D’où qu’ils viennent, le fait seul n’en reste pas moins la condamnation du système qui voudrait remplir l’armée d’étrangers mercenaires au lieu de soldats citoyens.

En somme, tous ces expédiens n’ont pas beaucoup servi. Ils n’ont pas empêché qu’au fond l’armée des États-Unis ne fût véritablement américaine. Sauf les 100,000 soldats nègres qu’on ne peut appeler étrangers, et qui, plus que personne, combattent pour leur propre cause, il n’y a guère sous les drapeaux que des citoyens des États-Unis. Quelques états du nord ont essayé de remplir leurs cadres avec des esclaves fugitifs : ils n’ont pu, malgré tous leurs efforts, en enrôler que 2,000 environ pendant l’année, et le prix moyen de chaque soldat nègre ainsi obtenu est de 3,500 dollars. L’armée du James contient, avec ses dix régimens noirs, quelques régimens étrangers et cosmopolites. Il y a des Indiens dans le contingent des états de l’ouest, jusqu’à des Chinois dans le contingent de New-York et dans celui de la Californie ; mais la grande force de