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et je ne crois pas qu’à présent il y ait une armée au monde dont les équipages soient mieux entretenus. Ce vaste champ de manœuvres, ces longues lignes noires de caissons et de chariots formées sur trois rangs de profondeur, le bon ordre, la tenue parfaite de ces centaines d’attelages de six mules avec leurs crins coupés en brosse et leurs conducteurs noirs à cheval, immobiles, tenant les rênes dans leurs mains, me donnent l’idée d’une discipline et d’une organisation bien supérieures à ce que les Européens s’imaginent sur le seul mot d’armée volontaire.

C’est que le plus grand ordre règne aujourd’hui dans cette masse, autrefois si peu régulière. Les Américains ont plus peut-être qu’aucun autre peuple du monde le génie de l’organisation et de la discipline ; ce que nous faisons par une longue habitude, ils le font par le concert instantané et intelligent de toutes les volontés, et ils improvisent en quelques semaines ce que nous mettons des siècles à former. L’armée dite volontaire est maintenant semblable en tout à l’armée permanente, en réalité, elle n’est plus volontaire que de nom, puisqu’elle est levée par décret du président, avec l’appât des primes d’engagement, et sous la menace de la conscription ; elle ne se compose, à vrai dire, que de mercenaires et de conscrits ; ses officiers prennent rang, tant que durera la guerre, à côté de ceux de l’armée régulière. La seule différence sensible est dans la forme du recrutement et dans la durée du service. L’armée volontaire est recrutée par les états particuliers et mobilisée par le gouvernement fédéral ; ses officiers sont nommés par les gouverneurs des états. Les engagemens ne doivent durer qu’une, deux ou trois années au plus ; cette armée sera licenciée après la paix, et officiers et soldats redeviendront citoyens. L’armée permanente au contraire, qui est, à vrai dire, la seule armée des États-Unis, est recrutée directement par le gouvernement fédéral, et elle a droit éternellement au rang et à la paie. Il en résulte des contrastes et des cumuls singuliers. Comme tous les officiers en titre de l’armée régulière ne sont pas en activité de service, on en voit qui acceptent des commissions dans l’armée volontaire, de manière qu’on cite des capitaines de réguliers qui sont généraux de volontaires, et par contre des capitaines de volontaires qui ont dans l’autre armée le rang de colonel. Tout cela du reste est provisoire, et la fin de la guerre amènera probablement un changement radical dans le système militaire des États-Unis. Il est douteux qu’en présence des états du sud vaincus et mécontens on puisse congédier tous les volontaires et réduire l’armée permanente à 40,000 hommes de troupes régulières. J’entends dire qu’on retiendra sous les drapeaux au moins 100 ou 150,000 hommes, qui seront alors définitivement enrôlés. En même temps il faudrait fixer un mode de