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ressentiment du serviteur maltraité avait cédé au dévouement du vassal fidèle, et l’appât d’un royaume n’avait pas séduit son âme avide de grandeurs, soit qu’il crût indigne de l’acquérir par une trahison, soit qu’il en regardât la possession comme chimérique. Il n’écouta ce qui lui fut proposé que pour connaître l’étendue et les ressources de la conspiration contre l’empereur son maître ; il n’objecta des scrupules et ne demanda des consultations que pour gagner du temps ; il ne rechercha des délais que pour prévenir Charles-Quint des dangers auxquels il était exposé en Italie et l’aider à s’en préserver.

Ce scrupuleux en fait d’honneur s’était condamné à une trahison. S’il ne la commit point envers l’empereur, il s’en rendit coupable à l’égard de ceux auxquels il avait engagé sa foi, et qu’il dénonça pour lui avoir offert un royaume. En découvrant à Charles-Quint ce qu’il avait promis tout au moins de garder secret, il sentit l’indignité du rôle qu’il jouait, et il écrivit à son maître : « Ces pratiques ne me conviennent pas. Cependant, puisque la nécessité les a amenées, je m’en réjouis afin de servir votre majesté, non sans beaucoup de honte, parce que je reconnais que je manque à quelqu’un, bien que ce soit pour ne pas manquer à celui auquel je dois le plus[1]. » Il envoya donc en Espagne un homme de sa confiance, Juan-Baptista Gastaldo, qui, formé à son école, devint plus tard un des habiles généraux de Charles-Quint. Gastaldo porta à l’empereur des dépêches très étendues dans lesquelles Pescara lui exposait, avec alarme les projets de la confédération qui se préparait en Italie, en France et même en Angleterre. Il lui annonçait que les Vénitiens, les Florentins, le pape, le duc de Milan, etc., ligués avec la régente de France, lèveraient des forces considérables, que la guerre commencerait par la France avec cinq cents lances, dix mille Suisses et un bon équipage d’artillerie, que les Vénitiens et le pape mettraient leurs troupes dans les places les plus voisines du Milanais, les Vénitiens à Brescia et à Crème, le pape à Parme et à Plaisance, et les feraient avancer du côté de Milan, dont le duc Sforza fermerait les portes aux impériaux, comme le doge Adorno leur fermerait celles de Gênes, et qu’ils espéraient par là venir à bout de l’armée impériale dispersée et la détruire.

Afin de parer à un danger qui semblait pressant, Pescara s’assura des places d’Alexandrie et de Verceil, concentra de son mieux les

  1. « Y aunquo no me contenten estas platicas, porque la necessitad las trao y el caso lo requiere, huelgo dellas por servyr a V. Mad, y no sin mucha verguença porque no dexo de conoscer que falto a alguno aunque sca por no faltar a quien mas deve. » Lettre du marquis de Pescara à l’empereur du 30 juillet. — Archives impériales et royale* de Vienne.