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quelques hommes de bien et en particulier du chef tcherkesse Ismayl-Bey, il réussit à faire évacuer Trébizonde, à assainir cette ville et à la préserver d’une ruine complète. On jugera de la grandeur du danger par le fait qui se produisit au lazaret dans le mois de février : parmi les 2,300 personnes qui y furent logées, 1,600 avaient succombé. Les Tcherkesses furent répartis sur trois emplacemens, à distance de la ville : les uns à l’est, dans un lieu nommé Campos ; les autres à l’ouest, dans la vallée de Séré-Déré ; un troisième groupe, un peu plus loin du même côté, à Aktcheh-Kaleh. Un détachement de 250 soldats fut appelé d’une garnison voisine pour maintenir le bon ordre. Les tentes expédiées de Constantinople abritèrent les 6 ou 8,000 réfugiés qui stationnaient à Campos, les 6,000 de Séré-Déré furent placés sous des baraques ou dans des hangars improvisés ; mais de nouveaux arrivés affluant d’heure en heure et les matériaux de construction, les ouvriers et le temps faisant défaut, les 27,000 Tcherkesses réunis à Aktcheh-Kaleh durent coucher la plupart à la belle étoile, sur un sol détrempé par les pluies.

Cependant la présence de M. Barozzi était impérieusement réclamée dans d’autres localités encore plus compromises, et le 15 mai il se mit en route pour Samsoun. Son premier soin fut de faire enterrer les morts, gisant çà et là sans sépulture. Dans l’accomplissement de ce pénible devoir, il eut à payer plusieurs fois de sa personne. Un magasin situé sur le bord de la mer et pouvant à peine contenir 30 individus en renfermait 207, tous malades ou morts. De ses mains et secondé par Ali, le chef des pompiers, il vida ce réceptacle pestilentiel, où même les hommes de peine refusaient d’entrer.

Cet exemple d’intrépidité releva un peu le courage abattu des autorités. 150,000 piastres (37,500 francs) envoyées de Trébizonde accrurent un peu les ressources alimentaires et permirent d’attendre les secours annoncés de la capitale. Il y avait encore à faire évacuer la ville par les émigrans, dont elle était encombrée ; les habitans, menacés dans leur existence et leur fortune, étaient prêts à déserter en masse. M. Barozzi, sans autres moyens d’action que la force morale que lui avait acquise sa conduite, et avec l’aide de M. Marcoaldi, médecin de la quarantaine, et d’Ismayl-Bey, moitié par persuasion, moitié par contrainte, fit sortir des bouges où ils s’étaient blottis, et par suite hors des murs, tous ces malheureux, qu’il dirigea vers l’intérieur du pays, du côté de Tchartchembeh et d’Amassie, dans des campemens convenables. Vingt-deux jours lui avaient suffi pour obtenir ce résultat. Le 5 juin, il quitta Samsoun, rappelé par le conseil de santé pour lui rendre compte de la