et de la dignité qui sied au gouvernement loyal de la France, il semble que la restauration ait eu son idéal dans la pensée de M. de Serre, et ait trouvé sa manifestation la plus pure dans la parole de ce rare ministre. Si la restauration eût consenti à se fixer à cette pensée, si elle eût voulu se reconnaître elle-même dans cette forme, elle eût pu devenir le gouvernement durable d’une France libre et glorieuse ; mais, hélas ! l’émotion poignante que l’on éprouve à chaque page de ce recueil, c’est le sentiment de l’impuissance de ses efforts. D’autres furent plus forts que lui : un fanatique sombre comme Labourdonnais, un homme de parti matois et opiniâtre comme Villèle, un rêveur acariâtre et fastueux comme Chateaubriand. Parmi les intelligences de ce temps, Royer-Collard était celle avec laquelle M. de Serre avait le plus d’affinité : M. Royer-Collard était un esprit, M. de Serre était une âme, et cette belle amitié politique eut les accidens qu’on connaît. Une autre impression pénible que laisse la lecture de ces discours, c’est celle de l’infériorité où le niveau moral de notre temps semble descendu, si on le compare au milieu d’idées politiques où alors l’éloquence prenait son essor. Quelle différence d’attitude, de ton, de langage ! comme ces accens tombent de haut sur nous ! A les entendre, on se croirait frappé d’une humiliante déchéance. Certes personne à notre époque n’aurait le droit de se croire plus conservateur que ne l’a été M. de Serre. Écoutez les dernières paroles qui sont tombées publiquement de ses lèvres : il s’agissait d’une liberté que nous ne possédons plus, le jugement des procès de presse par le jury. Voici ce qu’en disait M. de Serre en 1822 dans une péroraison qui mit fin à tous ses discours : « Une loi menaçante pour la presse ordinaire le serait pour tous les Français, pour chacun de nous, messieurs, qui peut avoir à se plaindre de l’injustice, à signaler un danger que la monarchie peut courir… La monarchie constitutionnelle, comme tout gouvernement libre, présente et doit présenter un état de lutte permanent. La liberté consiste dans la perpétuité de la lutte. Il ne faut jamais que la victoire de l’un soit trop complète, soit absolue ; une telle victoire serait l’oppression. Les lois elles-mêmes ont donné aux combattans les armes légitimes du combat : ils ne peuvent, sans devenir criminels, en employer d’autres ; mais les lois ont aussi pourvu à leur défaite, elles leur ont assuré un refuge, un asile. Ce refuge, cet impénétrable boulevard, c’est le jugement par jury. Honneur, immortel honneur au parti généreux qui l’aura respecté dans sa victoire ! Il aura fondé la liberté de son pays ; que la reconnaissance nationale, qu’une longue durée de pouvoir soit alors son partage ! » Est-ce du passé que nous viennent ces paroles, et sommes-nous condamnés désormais à n’en plus comprendre le sens ? Non, nous ne voulons pas le croire : elles sont le cri de la raison et de l’équité française ; le souffle qui les a lancées est assez puissant pour aller réveiller, par-dessus l’inerte présent, les échos de l’avenir. Quand la France pourra rédiger le digeste de ses libertés, quelques-unes des harangues de M. de Serre y demeureront attachées comme un immortel commentaire.
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