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sur le pont en leur défendant de communiquer avec l’intérieur. Après une pénible traversée, la Tamise touchait à Constantinople sans avoir eu d’autres cas de maladie que trois varioles bénignes. Le 28, ce bâtiment repart pour Trébizonde ; il venait à peine d’entrer dans la Mer-Noire que le typhus s’y manifeste, atteint dix-sept personnes de l’équipage, particulièrement les officiers ainsi que les hommes attachés au service de la machine, et en emporte sept, parmi lesquels le capitaine ; deux officiers, le chef mécanicien et le maître d’hôtel. Les précautions apportées dans le choix et l’installation des passagers rendaient ce fait inexplicable ; mais plus tard on apprit que dans une relâche à Sinope, par une bourrasque épouvantable et alors que le pont était couvert de neige, le capitaine avait permis à une quarantaine de femmes et d’enfans près de périr de froid de s’introduire dans une soute rapprochée de la machine, où ils séjournèrent quelques heures. Leur présence momentanée avait suffi pour empoisonner le navire.

C’est dans ces conjonctures que le conseil de santé de Constantinople, voyant toutes ses prescriptions sanitaires négligées ou contrecarrées par les autorités locales, proposa au gouvernement l’envoi sur les lieux de M. le docteur Barozzi en qualité de commissaire investi des pouvoirs les plus étendus. La Porte ayant agréé cette proposition, M. Barozzi, muni d’une lettre vizirielle qui confirmait sa mission, se rendit immédiatement à Trébizonde. Arrivé dans cette ville le 10 mars 1864, il entreprit aussitôt son œuvre de réparation et de salut. Elle exigeait une énergie à toute épreuve, une prudence consommée pour surmonter les obstacles matériels qui l’attendaient, vaincre ou atténuer un mauvais vouloir et une force d’inertie qui ne se dissimulaient pas, pour gagner la confiance des réfugiés exaspérés par la misère et leur faire accepter avec docilité le frein salutaire de l’autorité morale et une direction qui ne s’inspirait que du désir de leur être utile. En effet, les secours promis, tentes, biscuit, navires de transport, etc., se faisaient attendre par suite de la négligence des agens du gouvernement ; la force armée manquait pour protéger les habitans et mettre à exécution les mesures d’hygiène publique et de police jugées nécessaires. Les autorités locales, malveillantes par indolence et par pusillanimité, étaient toujours prêtes à chicaner M. Barozzi sur les termes prétendus obscurs ou ambigus de son mandat. Le représentant de la commission centrale de Constantinople, venu sous le prétexte d’aider les émigrans, laissait percer ses intentions défavorables ou malveillantes. M. Barozzi ne se rebuta point ; avec les simples ressources que le pays lui fournissait et profitant du laisser-faire du gouverneur, grâce au concours généreux et empressé de