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eux périrent, le gouvernement et la charité privée firent du moins tous les sacrifices possibles pour les sauver[1].

L’évacuation de Trébizonde et de Samsoun et la dispersion des émigrans comme première mesure de salubrité étaient d’autant plus urgentes que leur accumulation dans ces deux villes prenait des proportions plus considérables. De ces masses, foyers d’infection et sur lesquelles la mort s’acharnait, la contagion rayonnait dans les environs et menaçait d’envahir les provinces limitrophes. Dans le mois de décembre, on en transporta plusieurs milliers sur divers points du littoral de la Mer-Noire ; 2,000 furent envoyés à Constantinople et logés au milieu de la ville, dans des khans, d’où le mal dont le germe était en eux ne tarda pas à se répandre dans les quartiers environnans ; 40,000, débarqués sur la côte d’Europe, à Varna et à Kustendjé, furent de là dirigés dans l’intérieur du pays, jusqu’aux environs de Widdin, par la navigation du Danube, par la voie ferrée, ou par d’autres moyens de locomotion. Leur sort ne fut pas meilleur que celui de leurs autres compatriotes. Ils marquèrent les traces de leur passage dans les plaines basses et marécageuses de la Bulgarie en jonchant les chemins de leurs cadavres, en semant le typhus et la variole partout où ils passaient.

Bientôt le départ de ces colonies partielles fut ralenti ou suspendu par l’épidémie qui frappa les équipages eux-mêmes des embarcations employées à ce service. Le premier qui en ressentit les atteintes fut un pyroscaphe ottoman qui, dans les premiers jours de décembre, avait amené des Tcherkesses de Trébizonde à Constantinople et en avait perdu huit pendant la traversée. A peine ce navire eut-il repris la mer après avoir mis à terre ses passagers, que le typhus éclatait à bord avec violence et enlevait notamment le capitaine et le mécanicien. Un autre navire, mais cette fois un navire européen, par conséquent assujetti à une police sanitaire rigoureuse et bien entendue, la Tamise, appartenant à la compagnie des Messageries impériales, fut encore plus maltraité. Il avait quitté Trébizonde le 13 décembre emportant 113 Tcherkesses, qu’on avait eu le soin de prendre tous bien portans et de placer

  1. D’après les informations qu’il m’a été donné de recueillir, voici le relevé des sommes affectées au secours des réfugiés tcherkesses. J’aurais obtenu, je n’en doute pas, un chiffre plus élevé, si mes renseignemens avaient été complets : la Porte, 200,000 liv. sterl. (3,000,000 francs) ; le sultan, sur sa cassette particulière, 100,000 liv. sterl. (1,500,000 fr.) ; le comité circassien de Londres, 1,000 liv. sterl. (25,000 fr.) ; la mère du pacha d’Égypte, 300,000 piastres ; sa femme, 150,000 ; le scheikh-el-islam, 25,000 ; le corps des ulémas 15,000, on tout, 490,000 piastres (98,000 fr.) ; — total général : 5,015,000 francs. À ces dons il faut ajouter 600 tonnes de biscuit mises par l’Angleterre à la disposition du gouvernement turk et tous les objets en nature fournis par les habitans des pays où les Tcherkesses vinrent se réfugier,