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philosophique ne va pas jusqu’à détruire toutes les hypothèses précédentes au profit de l’hypothèse nouvelle ; mais l’on voit presque toujours tous les grands systèmes se reproduire ensemble ou du moins se succéder dans une série d’oscillations à peu près les mêmes. Ce n’est pas seulement l’évolution d’une idée qui se développe, c’est le conflit de plusieurs idées coexistantes qui se balancent et se tiennent perpétuellement en échec.

Un autre genre d’explication très répandu (et c’est de tous le plus contraire à l’éclectisme) consiste à supposer que parmi les systèmes il y en a un qui est vrai, et que tous les autres sont faux. Par exemple, s’il y a quatre systèmes fondamentaux, comme on l’a dit, — le mysticisme, le scepticisme, le sensualisme, l’idéalisme, — on exclura les trois premiers comme faux, le quatrième seul étant le vrai ; mais l’idéalisme lui-même étant une expression vague qui réunit les systèmes les plus contraires, à savoir l’idéalisme de Plotin et celui de Hegel, celui de Platon et celui de Descartes, on fera encore un choix entre toutes ces formes de l’idéalisme, et on finira par se limiter au pur spiritualisme, entendu dans le sens le plus précis, mais aussi le plus étroit. Or il résulte de cette manière d’entendre les choses un très grand inconvénient, c’est qu’un très petit nombre de philosophes seulement est resté dans le vrai et que le plus grand nombre s’est trompé : conclusion beaucoup trop favorable au scepticisme, car si tant de philosophes se sont trompés, de quel droit supposerais-je qu’un si petit nombre a été hors d’erreur, et que j’ai précisément la chance de me trouver parmi ceux-là ? Et si ces philosophes privilégiés me paraissent échapper à mes critiques, ne serait-ce point parce que je ne veux pas leur en faire et que je les dispense du sévère examen que j’inflige aux autres ? Par exemple, je dirai l’admirable principe du cogito, ergo sum, les sublimes preuves de l’existence de Dieu données par Descartes, etc. ; mais si j’appliquais à ces principes le même genre de critique impitoyable que je dirige contre la sensation transformée ou l’impersonnalité de Dieu, qui me prouve que même ces grands principes resteraient debout ?

Il y a d’ailleurs dans ce système quelque chose qui n’est pas expliqué : il reste toujours à savoir pourquoi certains hommes sont dans l’erreur. On a dit souvent que la cause des erreurs philosophiques est dans nos passions, et que si les vérités géométriques étaient aussi contraires à nos passions que le sont les vérités morales et religieuses, il y aurait autant d’hommes qui nieraient la géométrie qu’il y en a pour nier Dieu et la vie future. On oublie que, si ces grandes vérités sont contraires à quelques-unes de nos passions, elles en favorisent quelques autres : elles sont conformes