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des criminels et les livrait à la justice des états pour être fusillés ou pendus. Le nord pouvait-il supporter cela ? N’était-ce pas le devoir de son gouvernement de protester de toutes ses forces contre un ennemi déloyal qui traitait en criminels ou en esclaves des soldats et des citoyens des États-Unis ? Qui oserait dire que le président Lincoln pût agir autrement sans forfaire à sa dignité et à l’honneur national ?

Le sud enfin allègue sa détresse. Il prétend que son armée n’est pas mieux nourrie que ses prisonniers. Est-ce une excuse pour tant d’atrocités inutiles ? — On vous a trop parlé de guerre fratricide et d’abominations réciproques. C’est pour la férocité du sud qu’il faut réserver votre indignation. Je l’avoue, on peut vous citer des faits tour à tour révoltans et lamentables de représailles qui ressemblent à des tortures et à des assassinats. Il est vrai que dans le Missouri on a fusillé récemment dix hommes innocens des crimes dont une prétendue justice faisait retomber sur eux la vengeance, il est vrai que dans cette lutte de guérillas, lutte de bêtes fauves plutôt que d’hommes, les soldats des deux partis ont déployé librement leurs instincts sauvages, il est vrai enfin que le congrès a failli voter des mesures de rétaliation systématique ; mais ces rigueurs ne sont qu’une réponse tardive, involontaire, à de longues et intolérables provocations. Au début de la guerre, les cruautés du sud n’avaient pas altéré le sentiment d’humanité fraternelle que les hommes du nord nourrissaient encore pour les vaincus et les blessés. Sur le champ de bataille de Gettysburg, on ramassa indifféremment fédéraux et rebelles, on les soigna ensemble ; on établit des hôpitaux pour les prisonniers avec la même charité, la même profusion, la même sollicitude que pour les soldats patriotes. Il y a encore auprès de Baltimore un hôpital de prisonniers où les dames sudistes de la ville vont faire de charitables pèlerinages. Aux camps même où bientôt il fallut les rassembler sous la garde de régimens armés, ils avaient des maisons, des lits, des livres, des jeux, des écoles, une nourriture en tout point semblable à celle de l’armée. Aujourd’hui encore que fait-il donc en représailles des horreurs commises par l’ennemi, ce gouvernement qu’à son tour on accuse d’affamer les prisonniers ? Le congrès lui enjoint de leur donner le nécessaire et de ne les priver que du superflu. On ne prétend pas apparemment qu’il les traite avec tendresse.

Au Sud, la moitié des prisonniers meurt en un an ; ceux qui survivent n’y gagnent pour la plupart que d’attendre une mort plus lente. Au nord, dans les grandes prisons de Fort-Delaware, de Johnson’s-Island et de Point-Lookout, les rebelles semblent réparer leurs forces pour les campagnes prochaines. J’ai vu hier, ici