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solliciteurs et des spéculateurs, il y a des têtes hautaines qui ne veulent pas se courber, mais que le citoyen Sherman, commissaire de la république, ne fera pas, à la manière française, saluer sous la guillotine. Ceux qui avaient horreur des Yankees ont pu passer aux lignes rebelles. Les enfans de Savannah peuvent donc chanter des couplets outrageans pour Lincoln. En demeurant dans la ville, les habitans n’en ont pas moins fait acte de soumission et trahi, à leur façon le gouvernement confédéré.

Les drapeaux des monumens publics sont aujourd’hui abaissés en signe de deuil pour la mort de M. Everett. Il est tombé malade au sortir d’un meeting où il avait parlé pour les habitans pauvres de Savannah. Il est mort en orateur, comme le soldat sous les armes ; ses dernières paroles ont été des conseils de patriotisme, de concorde et de charité. C’était un noble esprit et un homme de bien. Rien n’est plus légitime que les honneurs rendus par le président à sa mémoire.


17 janvier.

Le fort Fisher est tombé après un combat de sept heures, opiniâtre et sanglant. Le canon de victoire annonce à la fois l’expédition et le succès. Rien pourtant d’inusité dans les rues ni dans le vestibule de l’hôtel : pas de conversations animées, pas d’affiches, mais seulement le news-boy vendant un supplément du journal du matin et criant à gorge déployée la nouvelle. Les Américains ont si bien pris l’habitude de la guerre que ses vicissitudes ne les émeuvent plus. Avec leur confiance imperturbable et presque impertinente, ils verraient sans s’alarmer le canon, battre leurs murailles ; en revanche, ils accueillent les plus grandes nouvelles sans beaucoup de démonstrations de joie, comme des gens accoutumés à les recevoir.

Il y a dans l’hôtel un homme à qui ce bruit de victoire a dû écorcher les oreilles, c’est le général Butler. Le sénat a voté l’autre jour une enquête sur la première expédition de Wilmington, et Butler a comparu ce matin même devant le comité de la guerre. Il était justement occupé à démontrer, pièces en main, que la forteresse était imprenable, quand le clerk du ministère de la guerre est entré apportant la dépêche, qu’on a lue avec acclamation. Accablé par ce terrible argument, Butler a payé d’audace, et sans se déconcerter s’est écrié à haute voix : « Dieu soit loué ! Puissé-je toujours me tromper de même ! » La défense devient difficile aujourd’hui que l’événement a prononcé. Il continue pourtant à faire bonne figure, et même à prendre l’offensive contre ses ennemis. Il y a parmi les boarders ou hôtes permanens de la