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jugemens sur les opérations navales auxquelles je n’entends rien, me lasseraient comme une langue étrangère ; mais il n’est pas besoin d’être expert pour voir son intelligence calme et prompte percer sous la simple nudité de ses entretiens.

L’amiral Farragut est né dans le Tennessee : c’est un de ces héroïques défenseurs que l’Union doit aux énergiques populations du sud, et qui ont quitté leurs familles, leurs foyers, sacrifié leur vie tout entière pour suivre leur drapeau. Envers lui du moins, la patrie n’a pas été ingrate ; on a ressuscité en son honneur le titre abandonné de vice-amiral. Dernièrement les notables de New-York se réunissaient pour lui offrir 50,000 dollars en témoignage d’admiration et de gratitude. Chez nous, ce cadeau serait regardé comme une aumône. Ici on l’accepte comme une récompense nationale et une marque d’honneur. Quelle différence au fond entre ce don individuel et notre usage reçu de mendier les pensions et les dotations de l’état ! Lequel est le plus digne ? Chaque pays a ses mœurs : autrefois on n’avait pas honte d’être le valet et le parasite du roi. En Amérique, le peuple est roi : on se fait donc le courtisan et le commensal du peuple.

En fait de réfugiés du sud, Mme Foote, la femme du sénateur Foote, du Tennessee, est ici prisonnière de guerre à Willard’s-hotel. L’un et l’autre avaient tenté de fuir ; mais une patrouille confédérée les reprit aux avant-postes. Mme Foote, après un combat, tomba entre les mains des fédéraux avec les bagages de l’ennemi ; le malheureux M. Foote est à présent dans les prisons de Richmond. M. Seward, longtemps son adversaire dans le sénat des États-Unis, a lui-même installé Mme Foote dans cette maison et défraie pour le moment sa dépense. Tout le monde lui fait bon visage et essaie de la consoler. Si M. Foote parvient à s’échapper du sud, il sera sans doute jugé pour la forme, puis gracié par le président.

Les journaux de Richmond s’indignent des propositions de M. Blair, de celles du moins qu’il est supposé apporter du nord, car aux dernières nouvelles il n’avait pas encore paru à Richmond. C’est un outrage à leur avis que d’offrir au sud un retour à l’Union. A leur gré ! mais alors ils n’auront pas à se plaindre le jour où l’homme du nord régnera sur leur terre en conquérant. Le nombre des Foote grossit d’ailleurs chaque jour. Des patriotes qu’on est forcé de mettre en prison pour s’assurer de leurs bons et loyaux services ne sont pas d’un grand secours dans une pareille extrémité. On dit que les élections municipales qui ont lieu en ce moment dans divers cantons de la Géorgie donnent les plus beaux résultats unionistes ; mais Savannah me paraît plus humiliée et plus servile que profondément soumise. A côté des adulateurs, des