Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


16 janvier.

Le rapport de Butler a paru. M. Seward, discret par position, semble ignorer les motifs de sa destitution et l’attribuer uniquement au mécontentement que le général Grant a éprouvé de l’échec de Wilmington. « Je ne blâme personne, dit-il avec sa finesse accoutumée ; il se peut très bien que le général Butler, quoique patriote éprouvé, ne soit pas meilleur soldat que je ne l’aurais été moi-même, si j’avais eu, comme tant d’autres, la fantaisie de m’improviser général il y a quatre ans, » Il me semble clair qu’il y a sous ce prétexte un monceau de linge sale qu’on aime mieux laver en famille. Le rapport de Butler, à ne considérer que les faits qu’il allègue et que les autres généraux confirment, est concluant en sa faveur. Le général Grant n’en réitère pas moins au général Ord, son successeur, l’ordre de prendre Wilmington. Une nouvelle expédition secrète, dont on a prié les journaux de ne rien dire de peur d’alarmer l’ennemi, est partie pour bombarder Fort-Fisher ou l’emporter d’assaut. Grant est un homme têtu, qui se brise d’abord contre l’impossible, mais finit par passer toujours à force de donner des coups de bélier dans la muraille. L’amiral Farragut dit qu’il arrivera de deux choses l’une : ou bien les rebelles seront surpris et tomberont avant l’arrivée de leurs renforts, — ou bien, si la prise de Wilmington n’est pas un coup de main, elle ne peut s’obtenir que par de longs et sanglans combats. Tout donne à croire que l’ennemi était sur ses gardes et qu’il a fallu verser du sang. Point de nouvelles d’ailleurs, bien qu’on les attende au ministère d’une heure à l’autre.

Je retrouve ici l’amiral Farragut, qui est établi dans l’hôtel depuis quelques jours. J’ai eu peu de peine à faire la connaissance de cet homme excellent et cordial, et je veux vous dessiner sa silhouette : sa figure est si franche, si peu ornée, si parfaitement sympathique, qu’on la saisit du premier coup d’œil. C’est un vrai marin, de cette espèce droite et bonne, héroïque sans le savoir et aimable sans y songer, par la bienveillance primitive de sa nature inculte. Mousse à huit ans, il a fait son chemin tout seul et recueille aujourd’hui la récompense de sa rude vie. Intrépide et simple, il raconte les beaux passages de sa carrière sans vanité, sans ostentation, dans un intérêt purement professionnel, n’y cherchant que des exemples et des leçons. Il est si accoutumé au courage qu’il ne songe pas à se faire valoir, et qu’il lui semble évidemment que tout le monde en ferait autant. On s’imagine presque, à l’entendre, qu’on n’aurait pas peur à côté de lui. — Je sens bien qu’à la longue ses récits de manœuvres, d’expériences d’artillerie, ses