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endurcis de la confédération rebelle. Cette conquête naturelle et pacifique du sud à la liberté est inévitable, et le serait encore, quand même le sud aurait conquis son indépendance et s’isolerait dans sa nationalité prétendue. Pourquoi donc alors cette opposition vaine à la force des choses ? Pourquoi ne pas devancer les événemens et proclamer le code auquel tous les états viendront un jour se ranger d’eux-mêmes ? Voilà le Maryland, le Missouri, qui ont d’avance accepté l’amendement. La législature du Kentucky, de la même voix qui nomme au sénat le démocrate James Guthrie, se prononce pour une émancipation immédiate dans l’intérêt de l’ordre public. — On parle d’oppression militaire et d’opinions imposées. C’est la voix libre et sincère du peuple qui a parlé dans les élections ; c’est la volonté populaire qui, dans la convention du Missouri, a décidé par soixante voix contre quatre qu’on trancherait d’un seul coup l’existence déjà condamnée de l’esclavage. Quant au droit constitutionnel, il faut être de mauvaise foi pour le nier. Certainement il y a des limites au droit d’amendement dont on réclame l’usage : d’abord la majorité des deux tiers dans le congrès, sanctionnée par les trois quarts des législatures des états, — et qui songe à violer ces formes protectrices ? — ensuite le préambule de la constitution, qui en énonce les motifs et les principes. Il y est dit que la constitution est fondée pour assurer au peuple américain les bienfaits de l’union, de la justice, de la paix et de la liberté. Qui oserait dire à présent que l’esclavage est juste, qu’il n’est pas un ennemi public, une semence de guerre, une audacieuse négation de la liberté humaine ? — On objecte que l’amendement est contraire à l’esprit de la constitution. Qui donc en est l’interprète, sinon la conscience de chacun ? En quoi d’ailleurs les auteurs de la constitution ont-ils consacré l’esclavage ? Ils l’ont toléré comme un mal inévitable, dont la guérison eût été dangereuse ; mais ils ont eu soin d’interdire solennellement l’extension de ce grand crime et de mettre un terme à la traite des nègres en attendant l’occasion future de l’émancipation radicale, qui seule est compatible avec les principes de liberté et de justice avoués par la déclaration de l’indépendance et par le préambule de la constitution.

Je vous ai dit souvent qu’au fond le parti démocrate était le parti de l’esclavage et de la désunion. J’y reconnaissais bien la présence d’un grand nombre d’hommes honnêtes et déçus, à commencer par son chef. Je n’y voyais pas cette foule d’hommes gagnés d’avance à la cause abolitioniste, dévoués profondément à leur pays, et qui ne différaient des républicains que sur la manière et l’occasion. Je méconnaissais, trop le grand sentiment national qui, malgré les trahisons individuelles et les allures suspectes du parti, animait