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de se retirer à Lowell, dans son pays, de remettre au général Ord, choisi par Grant pour remplir les fonctions de commandant temporaire de l’armée du James, tous les papiers, documens et fonds publics trouvés entre ses mains : on prédit qu’avant huit jours il sera enfermé au fort Warren. Cette disgrâce subite est l’explosion d’une patience longtemps éprouvée par des abus de pouvoir, des fraudes, des exactions et des cruautés de toute sorte. Le général Grant, tout-puissant sur son armée, y avait opposé jusqu’ici l’obstacle de sa volonté suprême ; il voulait conserver Butler. Depuis la retraite peu glorieuse de l’expédition de Wilmington (dont il parait que Butler a pris le commandement sans en avoir reçu l’ordre) et le fiasco de Dutch-Gap, immense canal inutile qu’il a construit entre deux coudes de la rivière James à la manière des Xerxès et des Marius, Grant semble lui avoir retiré sa protection ; en voilà la prompte conséquence. Je ne puis m’apitoyer sur sa chute bruyante. Puisse-t-elle servir de leçon à tous les soldats ambitieux et indisciplinés qui seraient tentés de suivre son exemple ! Puissent les abolitionistes de la Nouvelle-Angleterre, qui le célèbrent parce qu’il est de leur pays, se dégoûter enfin de leur triste héros ! J’ai entendu dire à ses amis, pour excuser son avidité : « Ce n’est pas lui, c’est son frère. Son seul tort est d’être trop faible pour les siens. » Touchante faiblesse en vérité ! Sa vie politique elle-même prouve qu’il n’est qu’un aventurier sans scrupule et sans conviction. D’ardent démocrate il est devenu un fougueux abolitioniste du jour où il a flairé dans l’air un vent nouveau. Sa brutalité égale, dit-on, son indélicatesse. A la Nouvelle-Orléans, pour vaincre l’opposition des femmes dont les frères et les fils combattaient dans l’armée du sud, et qui, dans leur fureur d’être soumises, faisaient pleuvoir sur leurs vainqueurs tout autre chose que des guirlandes et des bouquets de fleurs, — il les menaça de les envoyer à la prison des filles perdues, au Saint-Lazare du pays, — et il exécuta sa menace : plusieurs disent que ce fut bien fait. Dernièrement encore, en Virginie, il faisait chasser hors des lignes une femme, un vieillard et trois enfans, qui, sommés de prêter le serment de fidélité au gouvernement des États-Unis, avaient répondu qu’ils promettaient d’être sujets dociles, mais que la formule même du serment répugnait à leur conscience quand leurs familles étaient de l’autre côté. Il les faisait chasser avec une lettre ignominieuse et insultante, où il comparait leur scrupule à celui des femmes hindoues qui se brûlent sur le bûcher de leurs maris. Une autre fois il cite Shakspeare à l’appui d’un acte de cruauté qu’il ordonne… Mais le voilà maintenant terrassé, et à quoi bon frapper un homme à terre ? Si fait, car il peut s’en relever en victime, avec la couronne d’un faux