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nombreux corps de troupes. Si le gouvernement fédéral continue à s’étendre et à grossir, sa capitale grossira avec lui ; s’il retombe dans l’ancienne insignifiance, elle dépérira. Ville de carton comme Berlin, qui ne se tient que par la présence du gouvernement, son avenir est attaché à celui de l’unité américaine : plus le lien national se resserre et plus nous voyons acquérir d’importance au lieu où la tradition d’un siècle réunit tous les fils du gouvernement politique. On peut prévoir cependant le jour où l’extension des États-Unis vers l’ouest et la rencontre des deux armées civilisatrices qui assiègent des deux côtés les Montagnes-Rocheuses déplaceront par nécessité d’équilibre le centre mal placé de l’Union américaine : Saint-Louis ou toute autre ville peut-être encore inconnue deviendrait la capitale, et la grandeur de Washington dépendrait alors d’une scission de la république. C’est d’ailleurs un événement inévitable, quoique dans un avenir lointain. La séparation du nord et du sud, qu’on a représentée comme nécessaire, n’a certainement rien de naturel ; je conçois même comme inséparables les états du sud, ceux du nord jusqu’au Maine, et ceux de l’ouest en-deçà des Montagnes-Rocheuses : c’est la grande unité géographique du bassin du Mississipi ; dont les états atlantiques ne sont que la bordure et le revers. Une fois l’esclavage détruit, aucun antagonisme de races, d’intérêts, d’institutions, ne me paraît pouvoir compromettre cette unité. Il n’en est pas de même des immenses pays qui se forment, sur l’autre versant, au-delà des montagnes. On va les relier par un chemin de fer à cette partie du continent, ils communiquent déjà par un télégraphe ; mais, ou je me trompe fort, ou bien cette douzaine d’états qui se construisent là-bas formeront un jour un faisceau séparé. Lorsque les deux sociétés grandissantes se rencontreront au sommet des Montagnes-Rocheuses, écrasant entre elles les dernières tribus des Indiens dispersés, ce jour-là commenceront des luttes acharnées pour la possession des terres, comme on en a déjà vu dans le Michigan et dans le Kansas. Les colons envoyés par la Nouvelle-Angleterre feront le coup de fusil avec les pionniers de la Californie et de l’Orégon. Les mormons, ce peuple étrange qui grandit entre les deux versans, sur un bassin intérieur des montagnes, respectés aujourd’hui par le gouvernement fédéral, qui admet leurs délégués au congrès, mais qui n’ont pour avenir que l’extermination ou la conquête, si l’Union se complète et se fonde, prendront sans doute parti pour les hommes de l’ouest… Mais vous riez peut-être de mes témérités prophétiques, et je passe aux nouvelles du jour.

La principale et la plus saisissante est la destitution du général Butler, tombée comme un coup de foudre du nuage mystérieux qui enveloppe la tête auguste du gouvernement. Butler a reçu l’ordre