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conservé la forme qu’elle a revêtue au sein de la Société géographique de Londres ? J’ai été vivement touché de cette discussion, où l’intérêt de la science était le seul en jeu. Combien l’esprit pratique des Anglais se manifeste dans ces argumens invoqués en faveur de l’une et de l’autre voie, non par des géographes théoriciens, mais par des navigateurs qui tous pouvaient apporter le contingent d’une expérience personnelle acquise dans leurs voyages de découvertes au pôle nord ou au pôle sud ! Quel autre pays pourrait réunir un pareil aéropage ? Aussi, quand de tels hommes sont divisés dans l’appréciation des chances probables du succès, quand nous voyons d’un côté Sabine, Belcher, Ommaney, Beaufort, Richards se déclarer pour le Spitzberg, tandis que Mac Clintock, Osborn, Maury, Collinson et Back optent pour le Groenland, on ne peut qu’imiter la réserve du président sir Roderick Murchison, appuyé par le capitaine Allen Young, qui, pour résumer le débat, exposant les argumens donnés de part et d’autre et montrant combien ils se balancent, émet le vœu que l’on tente les deux voies, et qu’une expédition se fasse par le Spitzberg et l’autre par le détroit de Smith. C’est aussi mon humble opinion. Des souvenirs de jeunesse me font incliner vers le Spitzberg : je me rappelle avoir vu le 2 août 1839 du haut des mâts de la Recherche la mer complètement libre au-delà du 80° degré et avoir ressenti pour ainsi dire l’attraction que le pôle exerce sur l’imagination de tous ceux qui s’en approchent. Cependant que pourrais-je dire, modeste naturaliste, lorsque les premiers marins du monde ont parlé ? Il est évident que bien des tentatives seront vaines : ce ne sera pas la première fois que l’homme se fraiera un passage dans des régions qui lui semblent interdites ; mais l’une de ces tentatives réussira. Les forces aveugles de la nature seront encore une fois vaincues par la volonté de l’homme, et en mettant le pied sur le pôle il pourra dire qu’il a achevé de prendre possession de son domaine, car la conquête d’un pôle amènera fatalement celle de l’autre.

L’intérêt que cette question excite n’est point limité à l’Angleterre. En Allemagne, elle a également passionné les esprits. Grâce à l’agitation provoquée par le docteur Petermann, une souscription publique s’est ouverte, et une somme considérable a été réunie. L’automne dernier, un voyage de reconnaissance au nord-est du Spitzberg fut décidé. Un navire, le Queen of the isles, fut loué en Angleterre, installé en quelques jours et mis sous le commandement du capitaine Werner, de la marine prussienne ; mais le navire, envoyé de Londres à Hambourg, ne sortit pas de l’Elbe ; sa machine, fort mauvaise à coup sûr, se détraqua sans pouvoir être réparée immédiatement. Cet échec n’a point refroidi l’ardeur des