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capitales, une série de découvertes aussi importantes sont probablement réservées aux navigateurs qui s’avanceront dans les mers arctiques situées au nord du Spitzberg. Cet archipel sera toujours pour eux une base d’opérations : il offre de nombreux ports de refuge soit pour hiverner avant de partir au printemps dès que la mer est libre, soit pour s’y abriter après une expédition entreprise dans l’arrière-saison. Un hivernage au Spitzberg n’a rien qui doive effrayer après les hivernages des Anglais et des Américains dans l’Amérique boréale, où l’hiver est beaucoup plus long et le froid infiniment plus intense. Déjà dans le siècle dernier des matelots hollandais et des chasseurs de renards russes passèrent plusieurs hivers sur divers points de la côte occidentale de l’Ile. Le Russe Saratschin est enterré à Green-Harbour, dans la baie des Glaces : il mourut de vieillesse en 1826 après y avoir passé trente-deux hivers. On sait maintenant, grâce aux recherches de MM. Torell, Nordenskiœld et Blomstrand, qu’il existe de la houille sur plusieurs points, notamment dans les baies de la Cloche, des Glaces et du Roi ; mais cette houille, il faut l’exploiter, l’arracher à un sol gelé, tandis qu’on trouve un autre combustible échoué en abondance sur le rivage : c’est le bois flotté composé d’essences résineuses et qui se rencontre en abondance depuis la Baie-Large (Weide-Bay) jusqu’à l’îlot de la Table, le plus septentrional de l’archipel des Sept-Iles. Ces îles elles-mêmes sont pour ainsi dire assiégées par le bois flotté. Les ressources alimentaires ne sont pas moindres. Sur un grand nombre de points, on trouve des troupeaux de rennes de six à vingt individus ; leur chair est une des plus succulentes que je connaisse, tenant à la fois du bœuf et du chevreuil. L’équipage de l’Hecla abattit soixante-dix pièces dans la seule baie de Treurenbourg. Le général Sabine en tua cinquante en moins d’un mois pendant son séjour à l’entrée de la même baie. Les rennes sont encore plus abondans autour de la baie des Glaces. La chair de l’ours blanc n’est pas à dédaigner, pas plus que celle du phoque et du morse. Une espèce de crucifère, un cochlearia[1], fort répandue sur toutes les côtes de l’île, possède des propriétés anti-scorbutiques supérieures à celles de toutes les autres plantes de la même famille ; elle peut être habituellement mangée en salade, car l’absence de chaleur en été adoucit l’âcreté que des espèces analogues présentent dans nos climats tempérés.

Telles sont les ressources que le Spitzberg offrirait à un équipage forcé d’y passer l’hiver, et cet hivernage, comparé à ceux de Ross, de Parry, de Mac Clure, de Kane et des autres navigateurs envoyés à

  1. Cochlearia fenestra, R. Br.