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attirail de règlemens, de restrictions, d’antiques veto, elle les aura bien vite réduites en poudre. C’est l’engin le plus formidable et le plus bienfaisant de la révolution économique qui s’accomplit sous nos yeux avec une rapidité si merveilleuse et un tour si naturel que nous devons presque réfléchir pour la reconnaître et la comprendre. Il n’y a peut-être pas une seule condition de notre existence matérielle qui n’ait été modifiée, améliorée et surtout accélérée par l’intervention des chemins de fer.

Comment oublier dans cette énumération les travaux vraiment gigantesques auxquels a donné lieu l’établissement des chemins de fer et que l’on a nommés si justement travaux d’art ? Soit qu’on aplanisse des collines en leur enlevant d’énormes tranches de terre, soit que l’on creuse des tunnels au travers des plus hautes montagnes, soit que l’on plante des ponts sur les plus grands fleuves, soit enfin que l’on érige les immenses bâtimens des gares, ces œuvres si diverses attestent les progrès qu’a réalisés l’art de l’ingénieur et suscitent chaque jour des procédés nouveaux, qui sont utilisés immédiatement dans les chantiers. Les architectes, les entrepreneurs, et, dans un ordre plus élevé, les savans eux-mêmes, pourraient dire ce qu’ils doivent d’enseignemens et de découvertes aux ingénieurs qui ont construit les voies ferrées. La France ne le cède pas à l’Angleterre pour l’exécution de ces travaux si hardis qui étonnent et charment les regards. En Europe, en Italie, en Autriche, nos ingénieurs sont appelés à tracer les chemins de fer ; partout, à l’étranger comme en France, on leur rend hommage ; la juste célébrité qui s’attache aux noms des plus éminens rejaillit sur le corps tout entier et honore grandement notre pays.

Il serait plus difficile de préciser l’influence politique des chemins de fer. Incontestablement la France est plus compacte, plus unie, par conséquent plus forte, depuis que toutes les régions qui la composent sont rapprochées l’une de l’autre par un système de communications plus faciles et plus rapides. Si elle était attaquée du dehors, elle trouverait dans l’organisation du réseau d’énergiques moyens de défense, puisqu’elle pourrait en très peu de temps diriger ses forces vers les points menacés. Il est facile d’en juger d’après ce qui s’est passé en 1859, lors de la guerre d’Italie. Il a suffi de quarante jours pour transporter jusqu’aux Alpes une armée de près de deux cent mille hommes et de trente mille chevaux ! Il semble donc que l’achèvement du réseau doit avoir pour conséquence la réduction de l’effectif militaire, la plus grande mobilité de l’armée pouvant, dans une certaine mesure, suppléer au nombre. Jusqu’ici cette conséquence ne s’est pas produite. L’établissement militaire de la France a conservé ses anciennes proportions, et le