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de nos expériences. Il faut vaincre ou périr dans le champ clos de la révolution ; vaincre, c’est-à-dire porter au pouvoir le principe démocratique et social. A quoi bon dès lors la banque du peuple ? La Banque de France n’est-elle pas là ?… » Elle était là en effet, mais pour faire à certain jour une avancé au trésor ; la propriété, prise d’une sueur froide, chercha un refuge dans la dictature. Qu’on dresse maintenant, si l’on veut, un monument au terroriste du capital ; mais qu’on y mette cette épitaphe : « A Proudhon le capital reconnaissant ! » et puis la date du 2 décembre au-dessous.


IV

Proudhon avait un défaut : il ne pouvait pas parler, il ne savait que crier ; mais une fois le cri défendu, et le mot à voix basse seul permis, que devient l’énergumène de février ? Il rentre au coin de son feu et il philosophe avec son tison. Après tout, il faut vivre, la vie est courte, sauve qui peut ! à quoi sert de bouder ? Proudhon fait un nouveau livre sous la rubrique à double entente : la Révolution prouvée par le coup d’état. Naufragé de la veille, il monte sur son épave pour faire la leçon à la tempête. On ne gouverne pas comme on gagne le prix Monthyon, dit-il au gouvernement provisoire, et par la même occasion il chapitre la montagne pour avoir trop parlé. « La montagne n’avait qu’à se taire, dit-il encore, et qu’à se tenir prête à partager avec le président le fruit de la victoire. Ne valait-il pas mieux que Michel de Bourges fût ministre d’état et président du conseil le II décembre que d’aller à Bruxelles dans un exil sans gloire pleurer l’erreur de l’invisible souverain ? » Fouché avait à coup sûr plus d’esprit que Michel de Bourges : il allait toujours au secours du vainqueur.

La nation avait à ce moment la fièvre de la hausse et de la baisse, chemins de fer sur chemins de fer, maisons de crédit, maisons de jeu de toute nature, et toujours l’action à prime ; on spécule à outrance. Un homme sort endetté de sa maison et il y rentre millionnaire. Proudhon proteste en petit in-octavo contre cette épidémie d’agiotage ; mais il aime l’ironie, il en fait même une déesse ; il connaît Huber, l’homme du 15 mai, rentré en grâce auprès du pouvoir, et de concert avec lui il demande au gouvernement la mesure préventive…, sans doute du tourniquet ? Non pas précisément, il demande la concession d’une ligne de chemin de fer ; il ne l’obtient pas toutefois ; son concurrent lui offre un pot-de-vin, Proudhon le refuse à son honneur. Il voit à cette époque M. de Persigny ; une fois engagée, la conversation tombe naturellement sur l’un et l’autre empire. « Vous méconnaissez la tradition impériale, dit Proudhon au ministre : Napoléon faisait entrer au sénat