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se laisse vivre et ne souhaite rien au-delà. Même au premier aspect, nous lui trouvons l’air éteint, du moins terne et presque triste, par contraste avec la fièvre habituelle et la profonde élaboration des têtes modernes.

D’autre part, le sculpteur de la renaissance imite plus curieusement le réel et cherche davantage l’expression. Voyez les statues de Verocchio, de Francavilla, de Bandinelli, de Cellini, surtout celles de Donatello. Son Saint Jean-Baptiste, desséché par le jeûne, est un squelette. Son David, si élégant, si bien posé, a les coudes pointus et les bras d’une maigreur extrême ; le caractère personnel, l’émotion passionnée, la situation particulière, la volonté ou l’originalité intense font saillie dans leurs œuvres comme dans un portrait. Ils sentent la vie mieux que l’harmonie.

C’est pourquoi, dans la sculpture du moins, les seuls maîtres qui donnent le sentiment du beau parfaitement pur sont les Grecs. Après eux, il n’y a que déviation ; nul autre art n’a su mettre l’âme du spectateur dans un si juste équilibre. On s’en aperçoit lorsqu’on a erré une heure dans la longue galerie ; l’esprit se trouve tout d’un coup reposé, il semble qu’il ait repris son assiette. On a passé rapidement devant les têtes d’impératrices, presque toutes gâtées par leur coiffure ambitieuse et surchargée, on a jeté un regard sur les bustes d’empereurs curieux pour un historien, et qui résument chacun un caractère et un règne ; mais on s’arrête devant les statues d’athlète, devant le Discobole, la petite Bacchante, surtout devant les dieux, Mercure, Vénus, les deux Apollons. Les muscles sont effacés, le tronc se prolonge sans creux ni saillie dans les bras et dans les cuisses ; point d’effort ; quel mot singulier dans notre monde où l’on ne voit qu’effort ! C’est que depuis les Grecs l’homme, en se développant, s’est déjeté ; il s’est déjeté tout d’un côté par la prédominance de la vie cérébrale. Aujourd’hui il veut trop, il vise trop haut, il a trop à faire. Alors, quand un adolescent s’était exercé au gymnase, quand il avait appris quelques hymnes et savait lire Homère, quand il avait écouté les orateurs dans l’agora et les philosophes sous un portique, son éducation était faite ; l’homme était achevé et entrait complet dans la vie. Un jeune Anglais riche, de bonne famille, de sang tranquille, qui a beaucoup ramé, boxé et couru à cheval, qui a les idées droites et saines et vit volontiers à la Campagne, est de nos jours la moins imparfaite imitation du jeune Athénien ; il a parfois le même visage uni et le même regard tranquille. Encore n’est-ce pas pour longtemps. Il est obligé d’engloutir trop de connaissances, et des connaissances trop positives : langues, géographie, économie politique, vers grecs à Eton, mathématiques à Cambridge, chiffres et documens dans les journaux, en