affluence de monde, et que le tableau fut porté de la maison de Cimabue à l’église en grande pompe, avec trompettes et en procession solennelle. » De quelque côté qu’on étudie son œuvre, on trouve qu’il a touché à toutes les innovations futures. Il fit, dit Vasari, un saint François d’après nature, chose nouvelle et contraire aux procédés des Grecs, ses maîtres, qui ne peignaient que par tradition. Revenir au corps vivant, découvrir que pour imiter la figure humaine il faut regarder la figure humaine, quoi de plus simple ? Et pourtant tout l’art tient là en raccourci. On s’en aperçoit aux Uffizi dans un petit tableau qui représente sainte Catherine dans sa chaudière. Les muscles du torse sont indiqués, les seins sont déjà dessinés ; trois femmes en longues robes vertes sont posées noblement. Tu te rappelles la Madone sévère du Louvre et la grandeur, le fier mouvement des anges qui l’entourent. « Il était, dit un commentateur de Dante, noble plus qu’on ne pourrait le dire, et avec cela si arrogant et si dédaigneux, que si on lui montrait ou s’il découvrait quelque défaut dans un de ses ouvrages, il l’abandonnait à l’instant, si cher qu’en fût le prix. » On trouve quelque trace de cette élévation d’âme dans l’attitude hautaine et calme de plusieurs de ses figures. Une âme ayant sa vie propre, un caractère personnel et distinct qui se laisse entrevoir même dans un brouillard vague, quelle nouveauté ! Et c’est là tout l’art avec son principe, sa dignité, sa récompense : manifester et perpétuer une personne, qui est l’artiste, et dans cette personne ce qui est essentiel. A tout degré et dans tout domaine, son affaire est de dire aux hommes : « Voici ce qui était en moi et ce que j’étais ; à vous de regarder, de mesurer et d’emprunter ce que bon vous semble. »
Le second pas, celui qu’a fait Giotto, est beaucoup plus grand et, proportion gardée, égal à celui qui sépare Raphaël du Pérugin ou Vinci de Verocchio. A côté de lui, Margheritone, continuant la tradition, faisait de parti pris des figures laides et parfois hideuses ; Giotto a découvert le beau par la vive invention spontanée d’un génie complet, heureux et même gai, à l’italienne. Quoique né dans un siècle mystique, il n’est point mystique, et s’il fut l’ami de Dante, il ne lui ressemblait pas. Avant tout, c’est un esprit abondant, varié, aisément et richement créateur ; à Florence, Assise, Padoue, Rome, Ferrare, Rimini, Avignon, ce sont des chapelles et des églises entières qu’il a peintes. « Il travailla à tant d’ouvrages que, si on le racontait, on n’y croirait pas. » Ces féconds et faciles génies sont enclins à la joie et disposés à bien prendre la vie. « Il fut très ingénieux, dit Vasari, et très agréable dans ses entretiens, et très habile à dire des mots plaisans, desquels la mémoire est encore vivante dans cette ville. » Ceux qu’on rapporte sont salés et rudes ; l’esprit d’alors était conforme aux mœurs, qui