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appelant des Romains, car nous comprenons par ce nom seul tout ce qu’il y a d’ignoble, de timide, d’avare, de luxurieux, de mensonger, tous les vices enfin. » Au XIIe siècle, les Allemands de Frédéric Barberousse, comptant trouver dans les Lombards des hommes de la même race qu’eux, s’étonnaient de les voir tellement latinisés, « ayant quitté l’âpreté de la sauvagerie barbare et pris dans les influences de l’air et du sol quelque chose de la finesse et de la douceur romaines, ayant gardé l’élégance de la langue et l’urbanité des mœurs antiques, imitant jusque dans la constitution de leurs cités et dans le gouvernement de leurs affaires publiques l’habileté des anciens Romains[1] » Jusqu’au XIIIe siècle, ils continuent à parler latin ; saint Antoine de Padoue prêche en latin ; le peuple, qui jargonne l’italien naissant, entend toujours la langue littéraire comme un paysan du Berri ou de la Bourgogne que son patois campagnard n’empêche pas de comprendre le prône correct de son curé. Les deux grandes inventions féodales, l’architecture gothique et les poèmes chevaleresques, n’entrent chez eux que tardivement et par importation. Dante dit que jusqu’en 1313 aucun Italien n’avait écrit de poème chevaleresque ; on traduisait ceux de France ou on les lisait en provençal. Les seuls monumens vraiment gothiques de l’Italie, Assise et le dôme de Milan, sont bâtis par des étrangers. Au fond et sous des altérations extérieures ou temporaires, la structure latine du pays demeure complète, et au XVIe siècle l’enveloppe chrétienne et féodale tombera d’elle-même pour laisser reparaître le paganisme sensuel et noble qui n’avait jamais été détruit.

On n’eut pas besoin d’attendre jusque-là. La sculpture, qui une première fois, sous Nicolas de Pise, avait devancé la peinture, la devança encore une fois au XVe siècle, et l’on peut voir sur les portes mêmes du Baptistère avec quelle perfection subite et quel éclat. Trois hommes alors apparaissent ensemble, Brunelleschi, l’architecte du Dôme, Donatello, qui décora le campanile de ses statues, Ghiberti, qui fit les deux portes[2], tous les trois amis et rivaux, tous les trois ayant commencé par l’orfèvrerie et l’observation du corps vivant, tous les trois passionnés pour l’antique, Brunelleschi dessinant et mesurant les monumens romains, Donatello copiant à Rome les bas-reliefs et les statues, Ghiberti faisant venir de Grèce des torses, des vases, des têtes qu’il restaurait, qu’il imitait et qu’il adorait. « Il n’est pas possible, disait-il en parlant d’une statue antique, d’en exprimer la perfection avec des mots… Elle a des suavités infinies que l’œil seul ne comprend pas ; la main

  1. Otho de Freysingen.
  2. Le premier né en 1377, le second en 1386, le troisième en 1381.