Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’inventent ni ne puissent jamais entreprendre quoi que ce soit de plus vaste et de plus beau, selon ce que les citoyens les plus sages ont dit et conseillé en séance publique et en comité secret, à savoir qu’on ne doit pas mettre la main aux ouvrages de la commune, si l’on n’a pas le projet de les faire correspondre à la grande âme que composent les âmes de tous les citoyens unis dans une même volonté. » Dans cette ample phrase respirent l’orgueil grandiose et le patriotisme passionné des républiques anciennes. Athènes sous Périclès, Rome sous le premier Scipion n’avaient pas des sentimens plus fiers. A chaque pas, ici comme ailleurs, dans les textes et les monumens, on retrouve en Italie les traces, le renouvellement, l’esprit de l’antiquité classique.

Voyons donc ce célèbre Dôme ; la difficulté est de le voir. Il est sur un sol plat, et pour que l’œil pût embrasser sa masse, il faudrait abattre trois cents maisons. En ceci apparaît le défaut des grandes constructions du moyen âge ; même aujourd’hui, après tant d’éclaircies pratiquées par les démolisseurs modernes, la plupart des cathédrales ne sont visibles que sur le papier. Le spectateur en saisit un fragment, un pan, une façade ; mais l’ensemble lui échappe, l’œuvre de l’homme n’est plus proportionnée aux organes de l’homme. Il n’en était point de même dans l’antiquité ; les temples étaient petits ou médiocres, presque toujours placés sur une éminence ; de vingt endroits on pouvait en saisir la forme générale et le profil complet. A partir du christianisme, les conceptions de l’homme ont outre-passé ses forces, et l’ambition de l’esprit n’a plus tenu compte des limitations du corps. L’équilibre s’est rompu dans la machine humaine ; avec l’oubli de la mesure, le goût de la bizarrerie s’est établi. Sans raison, sans symétrie, on a posé des campaniles ou des clochers, comme un pieu isolé, en avant ou à côté des cathédrales ; il y en a un à côté du Dôme, et il faut que cette altération de l’harmonie humaine fût bien forte, puisque ici même, parmi tant de traditions latines et d’aptitudes classiques, elle se fait sentir.

Pour le reste, sauf les arcades ogivales, le monument n’est pas gothique, il est byzantin ou plutôt original : c’est une créature d’une forme nouvelle et mixte comme la civilisation nouvelle et mélangée dont elle est l’enfant. On y sent la force et l’invention avec une pointe d’étrangeté et de fantaisie. Des murs pleins d’une grandeur énorme se développent ou se renflent sans que les rares fenêtres viennent en évider la masse ou affaiblir la solidité. Point d’arcs-boutans ; ils se soutiennent par eux-mêmes. Des panneaux de marbre tour à tour jaunes et noirs les revêtent d’une marqueterie luisante, et des courbes d’arches engagées dans leurs massifs apparaissent comme une robuste ossature sous une peau. La croix