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l’assassiner, Guido allant en pèlerinage à Saint-Jacques, ce qui ne réussit pas… Ce pourquoi Guido, revenu à Florence, excita beaucoup de jeunes gens contre lui, lesquels lui promirent aide. Et un jour, étant à cheval avec quelques hommes de la maison des Cerchi, ayant un dard à la main, il éperonna son cheval contre messire Corso, croyant être suivi des siens, et, le dépassant, lui lança son dard, mais sans l’atteindre. Il y avait là avec messire Corso Simon, son fils, brave et hardi jeune homme, et Cecchino dei Bardi, ainsi que beaucoup d’autres avec des épées, qui coururent après lui ; mais, ne l’atteignant pas, ils lui jetèrent des pierres, on lui en jeta aussi des fenêtres, en sorte qu’il fut blessé à la main. » Pour trouver aujourd’hui des mœurs pareilles, il faudrait visiter les placers de San-Francisco ; là, sur la première provocation, en public, dans un bal, dans un café, le revolver parle ; il tient lieu de police, et supprime les formalités du duel. La loi de Lynch, fréquemment pratiquée, est seule capable de pacifier de tels tempéramens ; on l’appliquait parfois à Florence, mais trop peu et d’une façon décousue : c’est pourquoi l’habitude de l’appel à soi-même, des coups de main subits, de l’assassinat honorable et honoré, y a persisté jusqu’à la fin et au-delà du moyen âge. En revanche cette habitude, en maintenant l’âme tendue et occupée de sentimens tragiques et forts, la rendait d’autant plus sensible aux arts dont la beauté et la sérénité faisaient contraste. Il fallait cette profonde couche féodale si labourée et si déchirée pour fournir des alimens et une prise aux racines vivaces de la renaissance.

Le petit livre où sont toutes ces histoires est de Dino Compagni, un contemporain de Dante ; il est grand comme la main, coûte deux francs, et on peut l’emporter avec soi dans sa poche. Entre deux monumens, dans un café, sous une loggia, on en fit quelques morceaux, une rixe, une délibération, une sédition, et les pierres muettes deviennent parlantes…

On veut voir les commencemens de cette première renaissance, et du Palais-Vieux on s’en va au Dôme. L’un et l’autre sont le double cœur de Florence, tel qu’il a battu au moyen âge, l’un pour la politique, l’autre pour la religion, tous les deux si bien unis qu’ils n’en faisaient qu’un seul. Rien de plus noble que le décret public rendu en 1294 pour construire la cathédrale de la nation : « attendu qu’il est de la souveraine prudence d’un peuple de grande origine de procéder en ses affaires de telle façon que par ses œuvres extérieures se reconnaisse non moins la sagesse que la magnanimité de sa conduite, il est ordonné à Arnolfo, maître architecte de notre commune, de faire les modèles ou dessins pour la rénovation de Santa Maria Reparata avec la plus haute et la plus prodigue magnificence, afin que l’industrie et la puissance des hommes