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et de ne pas revenir aux lois léopoldines. Le pape, à force d’instances, les avait entamées ou transformées ; il n’avait pu souffrir à côté de lui un état vraiment laïque. Or en face d’un adversaire pareil il faut décider à part soi et d’avance ce qu’on cédera, s’il le faut, et ce qu’on prendra, coûte que coûte, car ses empiétemens imperceptibles sont tenaces comme ceux du lierre, et l’irrésolution est toujours vaincue par l’obstination. Ajoutez qu’une portion notable du clergé, la plupart des prélats sont pour lui ; l’un d’eux, le cardinal de Pise, a la raideur du moyen âge, et il est papabile. En somme, les Italiens sont dans une impasse. Ils voudraient rester bons catholiques, avoir chez eux la capitale du monde chrétien ; et cependant réduire le pape au rôle de grand lama, sans s’apercevoir qu’une fois dépouillé il est à jamais hostile ; autant vaudrait « marier le grand Turc à la république de Venise. » Ce sont là leurs deux points faibles, l’insuffisance de l’esprit militaire et l’irrésolution de l’esprit religieux. Il faut laisser faire au temps, à la nécessité, qui peut-être affermira l’un et précisera l’autre.


La Piazza, le Dôme, le Baptistère.

Dans une ville comme celle-ci, les premiers jours on va devant soi, sans système. Comment dans ce pêle-mêle d’œuvres et de siècles dégager tout de suite une idée nette ? Il faut feuilleter avant de lire.

Ce qu’on visite d’abord, c’est la Piazza della Signoria ; là, comme à Sienne, était le centre de la vie républicaine ; là, comme à Sienne, l’ancien hôtel de ville, le Palais-Vieux, est une bâtisse du moyen âge, énorme carré de pierre, percé de rares fenêtres en trèfles, muni d’un grand rebord de créneaux surplombans, flanqué d’une haute tour pareille, vraie citadelle domestique, bonne pour le combat et pour la montre, se défendant de près, s’annonçant de loin, bref une armure fermée surmontée d’un cimier visible. Impossible de le voir sans penser aux guerres intestines que décrit Dino Compagni. — Ce fut un rude temps en Italie que le moyen âge ; nous n’avions que la guerre des châteaux, ils ont eu celle des rues. Pendant trente-trois ans de suite, au XIIIe siècle, les Buondelmonti d’un côté avec quarante-deux familles, les Uberti de l’autre côté avec vingt-deux familles, se sont battus sans relâche. On barricadait les rues avec des chevaux de frise, les maisons étaient fortifiées ; les nobles faisaient venir de la campagne leurs paysans armés. A la fin, trente-six palais des vaincus furent rasés, et si l’hôtel de ville est irrégulier, c’est que par un acharnement de vengeance on obligea l’architecte à laisser vides les emplacemens maudits qui avaient porté les maisons détruites. — Que dirions-nous aujourd’hui si une bataille comme celle de juin durait non pas trois jours, mais trente ans dans nos rues, si des transportations