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Le parallèle que nous avons essayé d’établir entre la France et l’Angleterre pour le transport des marchandises aboutit aux mêmes conclusions que pour le transport des voyageurs, et puisque, dans l’un comme dans l’autre cas, la vitesse est une marchandise qui doit se payer proportionnellement, il ne reste plus qu’à demander au producteur et au consommateur français : Voulez-vous avoir plus de vitesse et payer plus cher ? ou préférez-vous un régime qui, pour une vitesse moindre, vous demande 2 centimes de moins en moyenne par tonne kilométrique (80 millions en moins par an pour un transport de 4 milliards de tonnes) ? — C’est toujours là qu’il faut en venir, car nous ne saurions engager une discussion sérieuse avec les personnes qui prétendent obtenir à la fois augmentation de vitesse et réduction de prix. Posée dans les termes où elle doit être posée, c’est-à-dire avec l’alternative qu’indiquent les notions les plus élémentaires du calcul et du bon sens, la question serait inévitablement résolue en faveur du régime français.

On peut même dire dès à présent qu’elle est résolue, et que le commerce, par sa pratique journalière, se charge de la réponse. Pour faciliter le trafic et en même temps pour multiplier les transports, les compagnies françaises ont imaginé des tarifs spéciaux qui sont inférieurs aux tarifs officiels, mais qui stipulent un certain allongement du délai réglementaire pour la livraison des marchandises. Eh bien ! qu’arrive-t-il ? Nous laisserons parler ici M. le directeur général des chemins de fer, qui, dans la dernière session, a traité devant le corps législatif avec autant de talent que d’autorité, cette grave question. « Toujours, dit-il, à côté d’un tarif spécial avec délai allongé, on trouve un tarif général avec un prix plus élevé et le délai réglementaire. Or il est à peu près sans exemple qu’un expéditeur choisisse les tarifs les plus élevés avec un délai moindre. On choisit toujours, presque sans exception, les tarifs les plus bas avec des délais plus longs. Donc on veut bien de la vitesse, mais l’on ne veut pas la payer. Voilà le fait véritable[1]. »

Le transport à bas prix, tel est l’objet essentiel ; c’est vers ce but que doivent tendre incessamment les efforts des compagnies de chemins de fer, et c’est particulièrement sur ce point qu’il convient de leur demander compte de leur gestion. En 1841, le prix moyen perçu par tonne kilométrique était de 12 centimes ; en 1854, il est descendu à 7 centimes 1/2, et en 1864 à 6 centimes 1/4. Nous n’avons plus à rappeler ce que représentent en millions ces dégrève-mens de centimes, se multipliant par les milliards de tonnes qui sont aujourd’hui transportées. Bornons-nous à signaler ces

  1. Discours de M. de Franqueville dans la séance du corps législatif du 27 juin 1865.