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hague. En 762, la surface presque entière de la Mer-Noire fut transformée, comme la Baltique, en un vaste champ de glace.

Si les hivers de Constantinople et des villages voisins peuvent être comptés parmi les plus désagréables de l’Europe à cause de la rigueur et de la variabilité du climat, en revanche les étés du Bosphore sont des saisons vraiment délicieuses, surtout à Therapia et dans les diverses localités situées à quelques kilomètres en amont de la grande cité. Là, grâce aux masses d’air qui viennent des régions du nord et s’engouffrent dans l’espèce d’entonnoir que forment les berges et les collines riveraines du Bosphore, l’atmosphère est sans cesse renouvelée et rafraîchie. Jamais la température n’y atteint cette élévation tropicale qui rend parfois le séjour de Paris et des autres grandes villes du nord presque intolérable pendant quelques jours de l’année. En outre les pluies d’été sont très rares dans le voisinage de Constantinople, et l’on peut, sans crainte des orages ou des changemens soudains de température, s’égarer au loin sur les collines d’où l’on voit se dérouler à ses pieds les tableaux si variés du Bosphore. C’est donc avec raison que M. de Tchihatchef, instruit lui-même par une longue expérience, conseille aux voyageurs aisés de Paris et de Londres de choisir pour l’une de leurs principales résidences d’été les frais vallons de la Thrace et de la Bithynie, d’où l’on peut contempler la nappe azurée du Bosphore.

Certainement il est à désirer qu’un nombre toujours accru d’Européens de l’Occident aille habiter ces belles campagnes, jusqu’à ce moment réservées aux pachas et à quelques diplomates. Bien que d’ordinaire le voisinage d’une ville de bains ou de plaisance soit une grande cause de démoralisation pour les populations indigènes et que la débauche, l’oisiveté, le jeu, les spéculations sordides servent trop souvent de cortège aux visiteurs étrangers, cependant on ne saurait douter que les Turcs et les Grecs des villages du Bosphore gagneront en intelligence et en instruction au contact des hommes plus civilisés de l’ouest. Malheureusement cela ne suffit point. Il faut que les habitans eux-mêmes, sous peine d’être écartés tôt ou tard, trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires pour prendre part à l’œuvre générale et seconder les rapides progrès dont ils sont les témoins. Quelles sont les modifications qui s’opèrent dans les idées et les mœurs des Turcs de toutes les conditions sociales ? Ont-ils gardé leur fatalisme antique et se laissent-ils envahir lentement par la mort en se bornant à quelques impuissantes convulsions ? De leur côté, les Grecs, qui pendant de longs siècles ont été traités comme des esclaves, et qui n’ont pu vivre qu’à force de ruses et de bassesses honteuses, acquièrent-ils rapidement les qualités viriles qui seules peuvent en faire un peuple ? Ce sont là des questions qui comptent parmi les plus importantes de notre époque et sur lesquelles nous eussions été heureux de trouver plus de détails dans l’ouvrage de M. de Tchihatchef.