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quels chanteurs l’interpréteront, et à quelle date ? Patience ! les choses ne sont point si avancées. L’Opéra, pris de court au sortir de son rêve d’or de l’Africaine, se demande s’il ne serait cependant pas bientôt temps de s’occuper un peu du lendemain, et M. Verdi, qui se sent, comme on dit, l’homme de la situation, vient à Paris causer traités ; les affaires d’abord, la musique ensuite. Lorsqu’un dramaturge de renom se voit sollicité par un directeur de théâtre, il pose pour condition première la reprise de quelqu’un de ses anciens ouvrages. C’est là aujourd’hui une manière de question préalable fort en vigueur dans toutes les administrations secondaires, et qui même ne laissait pas d’avoir déjà cours en plus haut lieu au temps où Rossini, avant de consentir à écrire une partition toute française, imposait à l’Académie alors royale de musique diverses reprises de son répertoire italien. Maintenant, étant donné le sens très pratique dont le ciel l’a doué, il n’était point à supposer que l’auteur de Rigoletto fît autrement que tout le monde. Cet excellent usage de négocier le vieux au moyen du neuf nous vaudra tôt ou tard la Forza del destino, assez médiocre ouvrage écrit il y a quelques années pour Saint-Pétersbourg, et qui, pour se produire à Paris, n’attendait qu’une occasion. Parlons donc de la Forza del destino avant de parler de Don Carlos ou de telle partition qu’il plaira à l’illustre maître de composer en vue de notre scène. Je ne m’occupe pas de l’exécution et ne tiens pas à savoir d’avance qui pourra chanter à l’Opéra le rôle créé par Tamberlick. Le musicien ici est homme de ressources, nul mieux que lui ne s’entend aux variantes, transpositions et remaniemens. Trancher jusqu’au vif dans la partie du ténor, remplacer l’air de la femme par une cavatine empruntée soit à Giovanna d’Arc, soit à une partition quelconque de son répertoire également ignorée du public français, pointer un rôle dans les belles notes du chanteur et, fut-ce aux dépens de la tessitura des ensembles, s’arranger de manière à contenter la voix de M. Faure chantant ce qu’avant lui a chanté Graziani, — ce sont là jeux d’enfant pour un Italien. Autant un Allemand répugne à ces combinaisons de pacotille, autant un Italien s’y trouve à l’aise. Refondre, rajuster, avec du vieux faire du neuf, on dirait qu’il y a là comme une inéluctable nécessité, la force du destin ; bien avant Cimarosa florissait ce beau système. Voyez ce don Bucefalo, peinture grotesque, mais vraie à plus d’un titre, de ces mœurs musicales dont l’immortel Lablache, dans son Campanone de la Prova d’un opéra seria, bafouait déjà au milieu des éclats de rire des générations précédentes le suprême indifférentisme, l’incomparable sans-gêne.

On se souvient de Macbeth au Théâtre-Lyrique, du travail de rénovation auquel donna lieu cette malencontreuse mise en scène : partout la confusion, les disparates, des ajoutés sans relation avec le style primitif, des pâtés de couleur écrasant l’ancien dessin. J’imagine que nous verrons le cas se reproduire à l’Opéra, et pourtant ce n’est point encore ce qui me préoc-