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les menacer d’une ruine profonde, jamais le gouvernement français n’eût conçu le dessein de substituer au Mexique un gouvernement monarchique à la forme républicaine. Convenons que, si la France se fût trouvée dans une position semblable, si, souffrant des plus graves embarras intérieurs, il eût plu à l’Autriche, à l’Angleterre, à la Prusse, de profiter de la circonstance pour arranger les affaires d’Italie, d’Espagne ou de Belgique d’une façon contraire à nos traditions et à nos principes, nous ne serions guère tenus de garder d’un tel procédé un souvenir reconnaissant. La célèbre lettre adressée au général Forey accentuait le sens de notre entreprise d’une façon qui ne ménageait guère les susceptibilités ou, si l’on veut, les préjugés des Américains. Il s’agissait pour nous, en un moment où les États-Unis étaient plongés dans une détresse que plusieurs croyaient incurable, d’empêcher la grande république de s’emparer de tout le golfe du Mexique, de dominer de là les Antilles et l’Amérique du Sud, de rendre à la race latine de l’autre côté de l’Océan sa force et son prestige, de garantir la sécurité à nos colonies des Antilles et à celles de l’Espagne, etc. On doit remarquer en passant que, si tel a été le dessein de l’expédition du Mexique, l’objet principal de cette entreprise est aujourd’hui manqué totalement : les Chiliens et les Péruviens nous montrent le cas qu’ils font du panlatinisme ; maltraités par les Latins d’Espagne, c’est du côté des Saxons du Nord-Amérique que se tournent leurs regards fraternels. Quant à l’influence prépondérante du golfe du Mexique, les États-Unis la conservent telle que la nature la leur a donnée, et la sécurité de nos colonies et de celles de l’Espagne a pour garantie, sans compter notre droit et notre puissance, la modération et l’esprit de justice des républicains de l’Amérique, garantie que bien des gens se permettront toujours de préférer à celle qu’aurait pu promettre la fondation au Mexique d’un fragile empire. Cette politique avouée n’est point faite assurément pour gagner les sympathies de l’Amérique à notre expérience mexicaine ; mais c’est encore là du passé, et il n’y faut plus revenir. Au cœur du peuple américain, le souvenir des fautes de notre politique officielle durant la guerre civile ont été, nous en sommes sûrs, effacées par les témoignages que l’opinion libérale française, fidèle à ses plus belles traditions et éclairée sur l’avenir par la générosité de sa foi, n’a cessé de donner à la grande cause de l’Union républicaine. Ce qui résulte du moins d’un passé si récent, ce qui résulte surtout des déclarations sobres et fermes du message présidentiel en l’honneur de l’institution républicaine, c’est qu’on ne doit point s’attendre à voir reconnaître par les États-Unis l’empire mexicain. Ce serait une illusion dangereuse de fonder sur l’espoir d’une pareille reconnaissance l’expédient au moyen duquel nous pourrions sortir du Mexique. Pour mettre d’une façon honorable une prompte fin à nos stériles sacrifices, nous avons besoin sans doute d’entrer en une coopération amicale avec le cabinet de Washington. Notre vrai devoir d’honneur serait, en abandonnant le