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III

Si, après avoir constaté l’insuffisance du système volontaire anglais, on veut se convaincre encore davantage de la nécessité de l’intervention des pouvoirs publics en matière d’instruction primaire, il faut étudier l’état de cette instruction dans une colonie anglaise où l’on peut voir se développer librement deux races très différentes, les Anglo-Saxons et les Français, je veux parler du Canada. Avant l’organisation de l’enseignement par voie législative, les campagnes étaient plongées dans une ignorance absolue. Les deux villes principales, Québec et Montréal, avaient seules quelques établissemens où les enfans des classes aisées venaient puiser les connaissances élémentaires, trop vite oubliées. Un voyageur, Talbot, après avoir parcouru à cette époque le Haut-Canada, déclare n’avoir vu, pendant cinq ans de séjour, que deux personnes tenant un livre à la main ; il est vrai, ajoute-t-il, que les livres y sont aussi rares que les pommes sur les montagnes de la zone polaire. Dans le Bas-Canada, habité par les Français, savoir lire et écrire était un talent si rare que plus d’un membre du parlement ne le possédait pas. Un journal de Québec proposait de fonder une école d’adultes pour communiquer aux législateurs ces connaissances indispensables. L’un des gouverneurs de ce temps, lord Durham, s’étonnait, en arrivant dans la colonie, qu’on n’eût rien fait pour l’instruction des classes inférieures. Enfin dans le Haut-Canada la législature intervint en 1841 et 1843 pour établir un système général d’enseignement primaire soutenu par les subsides de l’état et des communes. Nous trouvons ici encore un de ces hommes qui, comme MM. Barnard et Horace Mann aux États-Unis, consacrent une indomptable énergie et un esprit élevé et juste, appuyé sur de vastes connaissances administratives, à l’œuvre de l’éducation nationale. Le révérend docteur Ryerson, après avoir étudié avec soin les institutions scolaires de l’Europe et de l’Amérique, publia un rapport sur l’instruction primaire dans le Haut-Canada, dont les conclusions furent ratifiées par le parlement. Il emprunta à l’Allemagne ses écoles normales, à l’Irlande son système d’instruction religieuse, aux États-Unis le principe fécond que l’enseignement du peuple est un service public auquel il faut pourvoir par l’impôt, et l’on arriva ainsi à établir une organisation dont les Canadiens sont fiers, et à juste titre, à en juger par les rapides progrès qu’elle a provoqués.

Chaque commune (township) est divisée en sections d’une étendue