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travail bien conduit, il est toujours prêt à quitter l’outil ou la bêche pour prendre le fusil et à exploiter la grande route plutôt que la terre.

L’histoire de l’enseignement primaire au Portugal nous offre un exemple plus décisif encore. Dans ce pays, comme chez les autres nations catholiques, l’église seule était jadis chargée d’instruire le peuple. Or au XVIIIe siècle, quand le ministre Pombal, éclairé sur les besoins de la société nouvelle, voulut se rendre compte de l’état de l’instruction populaire, il trouva une ignorance profonde et générale. En 1772, il forma le projet de doter chaque commune d’une école ; il en fit ouvrir immédiatement 400, et il établit même sur le vin et l’eau-de-vie un impôt spécial appelé subside littéraire, faisant ainsi, par une combinaison originale et juste, contribuer les consommateurs de spiritueux au progrès des lumières, afin que le, vice payât lui-même le remède qui devait l’extirper. L’impôt demeura, comme toujours et partout, mais les écoles qu’avait ouvertes Pombal disparurent après sa chute. En 1807, on comptait dans les écoles primaires 24,000 élèves, seulement ; après les désastreuses guerres de l’empire et la réaction absolutiste et cléricale qui les suivit, ce chiffre se réduisit à 8,000, ce qui signifie qu’il y avait 3 élèves par 1,000 habitans : autant dire que l’enseignement primaire était réduit à rien. Voilà donc le magnifique résultat obtenu par l’initiative individuelle combinée avec les efforts du clergé et des ordres religieux ! Après le triomphe des idées libérales en 1834 et l’établissement du régime constitutionnel, la législature portugaise comprit qu’il était urgent de s’occuper de l’instruction publique. Une loi fut votée en 1836, successivement amendée et complétée par les lois et arrêtés du 20 septembre 1844, 20 décembre 1850 et 1er janvier 1851. Par une réaction qu’expliquent les abus du passé, l’école a été complètement soustraite à l’influence de l’église. La sécularisation a été radicale. Le prêtre n’entre dans l’école ni pour l’inspecter ni même pour y donner l’instruction religieuse. Grâce à l’intervention de l’état, le nombre des élèves s’accrut rapidement. En 1855, le chiffre des écoles primaires s’élevait en tout à 1,319, dont 1,189 entretenues par l’état, 33 par les communes et 48 par des particuliers ou des associations charitables. Le nombre des élèves était de 36,465, dont 1,906 filles, pour 3,844,000 âmes. Ce sont là encore, il faut bien l’avouer, des résultats désolans, car cela ne fait qu’une école par trois paroisses d’une superficie moyenne de 74 kilomètres carrés et par 3,000 habitans, et un écolier par 85 habitans. Cette situation déplorable tient à diverses causes dont les trois principales sont l’apathie invétérée et héréditaire des habitans, la place trop petite faite à l’initiative