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chacun des deux pays, l’exploitation des chemins de fer est d’accord avec les préférences et avec les habitudes nationales, c’est-à-dire qu’en Angleterre elle donne la vitesse aux dépens de l’économie, et en France l’économie aux dépens de la vitesse. Si l’on proposait aux Anglais de payer moins cher une vitesse moindre, ils refuseraient sans aucun doute le cadeau offert à leur bourse, et si l’on disait aux Français que pour les faire circuler plus vite on doit hausser le prix des places, la nouvelle serait à coup sur fort mal accueillie.

Il est vrai que des esprits impatiens n’hésitent pas à demander à la fois l’augmentation de la vitesse et la diminution du prix des places. Les uns, pénétrés de cette pensée malheureusement trop commune que les ressources d’une industrie privilégiée sont inépuisables et que l’état doit exiger tout des compagnies de chemins de fer, prétendent que ces compagnies pourraient, si elles le voulaient bien, donner satisfaction au double vœu du public, qu’elles s’attardent obstinément dans l’ornière du monopole, et qu’il suffirait au gouvernement d’user de fermeté et de décision pour les entraîner dans la voie des réformes. Les autres, sans partager ces passions jalouses, s’évertuent à démontrer que les compagnies méconnaissent leurs propres intérêts en n’organisant pas des services plus rapides avec des tarifs abaissés de manière à faciliter les longs voyages et à multiplier la clientèle, ce qui, suivant eux, ne tarderait pas à augmenter le produit net. Ils ne manquent pas de citer, comme exemple, le développement considérable que la diminution radicale de la taxe des lettres a imprimé aux revenus de la poste, et ils affirment qu’un résultat analogue ne tarderait pas à se produire pour le transport des voyageurs.

Malheureusement ces exigences et ces conseils ne paraissent point s’accorder avec les simples notions d’arithmétique, auxquelles les compagnies de chemins de fer, tout comme les autres industriels, sont tenues de subordonner leurs opérations. Il est reconnu que les frais de traction et de matériel croissent plus rapidement que les vitesses, et cet accroissement de dépenses est tellement considérable que l’ingénieur en chef d’un chemin de fer anglais, consulté sur ce point, a cru pouvoir évaluer à 30 pour 100 le supplément nécessaire pour porter de 48 ou 56 kilomètres à 64 ou 67 kilomètres la marche d’un train express. Il y a donc entre ces deux termes, augmentation de vitesse et diminution des tarifs, une contradiction absolue. Quant à l’énorme développement que l’on promet au trafic des voyageurs au moyen de l’abaissement radical du prix des places, on. invoque à faux en cette matière la loi économique selon laquelle la consommation d’un produit