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On pourra dire qu’elle n’est pas possible, si on démontre qu’elle n’est pas utile, car alors à quoi bon tant de peine ? Et comment peut-elle être utile ? Évidemment en donnant un bénéfice à répartir. Sur quel bénéfice compte-t-elle ? Sur celui du marchand. Or ce bénéfice, elle ne peut l’avoir, d’abord parce qu’elle n’est pas un marchand, ensuite parce qu’elle sera ruinée par la concurrence.

Elle croit sans doute être un marchand, c’est là son erreur. Elle se dit : Je ferai telles ou telles économies que le marchand ne fait pas, donc j’aurai son bénéfice et quelque chose de plus ; mais elle oublie que tous les marchands ne font pas de bénéfices. Quelques-uns se ruinent, et beaucoup végètent. C’est le petit nombre qui réussit, et à quelle condition ? A la condition d’oser. Précisément c’est ce qu’elle ne veut et ne peut pas faire. Le marchand qui réussit est stimulé par la crainte de la faillite et l’envie démesurée de la fortune. Il travaille, il intrigue, il imagine ; tout lui est bon de ce qui est honnête. L’intérêt personnel surexcité double, triple, décuple ses forces. Il joue le plus souvent, car il y a des spéculations qui peuvent être assimilées au jeu. Il ferait beau voir, dit-on, un ouvrier transformé en gérant de société aux prises avec cette âme souple, intelligente, passionnée, rusée, infatigable, qu’on appelle un commerçant.

La réponse est que le commerce n’est un jeu que pour les commerçans sans scrupule, que la société coopérative ne sera pas la première maison calme, consciencieuse, demandant le succès à la persévérance et à l’honnêteté, que dans une telle société tous les membres sont intéressés au succès, que le directeur ou gérant y est intéressé plus que tous les autres, qu’il n’est ni vrai ni honorable de ne pas admettre d’autre stimulant que l’intérêt, et de tenir pour rien le sentiment du devoir, qu’il n’y a pas d’habileté qui puisse compenser les deux grands avantages des associations, c’est-à-dire l’élimination de toutes les mauvaises chances et la suppression de tous les frais de publicité, qu’une telle certitude dans la double opération d’acheter et de vendre est mille fois préférable à cette concurrence acharnée et furieuse qui se traduit pour les uns en ruine, pour les autres en bénéfices scandaleux, et pour les consommateurs en accroissement de dépenses.

On nous menace aussi de la concurrence ; mais de laquelle ? Si C’est la concurrence des anciens marchands, ils ne peuvent lutter contre nous qu’en abaissant leurs prix au niveau des nôtres, ou plutôt, car cela ne suffirait pas, en distribuant, comme nous le faisons, leurs bénéfices à leurs acheteurs. Et s’ils le font, où donc est la difficulté ? Ils nous tuent comme société ; mais tenons-nous à être une société ? Si les marchands se chargent de la peine à notre place