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fortune, voilà les chiffres attribués à l’exercice 1864 par un rapport inséré au Moniteur du 22 novembre 1865. L’augmentation de la fortune des sociétés de secours mutuels est due en grande partie à l’introduction de membres honoraires, c’est-à-dire, pour parler nettement, de patrons qui concourent aux charges sans participer aux bénéfices. Les membres honoraires, pour toute la France, sont au nombre de 85,559. Ce chiffre élevé de donateurs a permis d’abroger la disposition de la loi de 1850 qui défendait aux sociétés de promettre des pensions de retraite. Il est vrai qu’en revanche la présence de ces membres non participans sur la liste des associations leur ôte presque complètement le caractère de mutualité. L’institution se trouve mélangée de mutualité et de patronage, et c’est là, pour tous ceux qui se préoccupent du côté moral des institutions, un fait éminemment regrettable.

Mais ce n’est pas le seul reproche que nous ayons à faire à la loi de 1850 et au décret de 1852. Toute cette législation abonde en dispositions restrictives. En 1850, on limitait le nombre des membres, pour chaque société, à 2,000 ; en 1852, on limite à 500 le nombre des participans. En 1850, on décidait que le maire ou un adjoint par lui délégué aurait toujours le droit d’assister à toute séance et de présider la séance quand il y assisterait ; on va plus loin encore en 1852 : on fait nommer le président par le pouvoir exécutif. On semble craindre que l’institution ne réussisse trop, le maximum de l’encaisse est fixé à 3,000 francs. Pourquoi ces entraves ? pourquoi ces frayeurs ? Beaucoup de citoyens qui entreraient de grand cœur dans la mutualité renoncent à se laisser imposer un chef. On veut bien donner, on le souhaite même : on veut pourtant donner à sa guise, contrôler par soi-même ou par ses délégués l’emploi de son argent, et on n’aime pas à subir l’ennui d’être dirigé et gouverné par cela seul qu’on est généreux. Est-ce une peine dont on a voulu punir les gens de cœur ? A-t-on cru que, si 500 ouvriers ou patrons se réunissaient pour se secourir mutuellement en cas de maladie, ils allaient, par la force des choses, se transformer en mauvais citoyens ? Cette somme de 3,000 francs indivise entre 500 associés a-t-elle paru menaçante pour la solidité du gouvernement ? Une telle pusillanimité est étrange dans un pays où, Dieu merci, les sociétés anonymes jouissent d’une certaine liberté et peuvent posséder un peu plus de 1,000 écus. Serait-ce qu’on n’est pas redoutable pour l’ordre quand on construit 2,000 kilomètres de chemins de fer, et qu’on le devient tout à coup quand on donne des remèdes à un malade et du pain à sa famille ?

Ces reproches tiennent à des imperfections légales qu’il est facile de faire disparaître avec un peu de bonne volonté et sans déployer trop de courage civil. Un plus grand malheur, c’est que les sociétés