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représente, en nourriture, vêtement et logement, tout ce qui est indispensable sous peine de mort. » L’épargne peut commencer au moment précis où finit le nécessaire ainsi entendu et restreint.

Maintenant suffit-il d’une volonté puissante pour se renfermer et se contenir dans ces terribles limites ? Il faut en outre un stimulant ; il faut que ce sacrifice soit imposé par le devoir, c’est-à-dire par une nécessité visible et immédiate, ou qu’il soit payé. L’ascète, qui se condamne rarement à une vie aussi dure, est payé d’un prix infini, s’il va au ciel comme il l’espère. Quand il s’agit de pensées terrestres et de devoirs humains, il est juste que le bénéfice compense la peine. Il est impossible que le patient ne se demande pas quelle somme il accumulera dans un an, dans dix ans, combien de jours de vie cette somme représentera en cas de chômage, quelle éducation elle assurera aux enfans. Il est même impossible qu’il ne se dise pas que, quand on se réduit volontairement, comme il le fait dès à présent et pour toujours, à un morceau de pain, on a bien peu de chances d’en manquer dans la maladie ou dans la vieillesse, que la société, fût-elle sans entrailles, reculera devant un déni de secours qui serait un homicide, et qu’enfin un ouvrier infirme qui ne demande que ce morceau de pain est assuré de l’obtenir, soit de la charité privée, soit de la charité officielle ou légale. Si donc il se condamne au « nécessaire » pour toute la vie, ce n’est point par prévoyance, c’est par fierté ; c’est pour se soutenir jusqu’au bout par ses propres forces et ne jamais dépendre de personne. L’épargne ainsi exercée ne peut être qu’une exception, même dans une société féconde en caractères. Si même, franchissant plusieurs degrés et accommodant notre hypothèse à notre taille, nous nous représentons par la pensée un ouvrier chargé de famille, vivant au jour le jour de son salaire, ne souffrant à la vérité ni du froid, ni de la faim, mais se refusant impitoyablement tout superflu, pouvons-nous espérer qu’il se condamne à des privations de surcroît pour amasser à force de peines une réserve dérisoire ? L’épargne dans ces conditions, et sans motifs suffisans d’épargne, n’est pas seulement une utopie, c’est une folie.

L’idée est donc venue de rendre l’épargne attrayante en la faisant fructueuse. Il suffisait, pour cela, de donner aux prolétaires par la mutualité les bénéfices d’accumulation et de crédit qui n’appartiennent qu’aux riches. Comme le crédit mutuel était encore, pour ainsi dire, inconnu, et qu’on n’en comprenait ni la nature ni la portée, l’état donna sa garantie, et les caisses d’épargne furent créées.

La première fut fondée à Paris en 1818 ; le nombre s’en multiplia assez lentement. Elles donnèrent lieu à plusieurs lois, dont la dernière remonte au 7 mai 1853. Un rapport du ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, inséré au Moniteur