considérée comme faite : elles vont et viennent librement, souvent seules ; leurs idées pratiques semblent toutes formées, et l’usage veut même qu’elles soient déjà initiées à toutes les réalités de la vie. On ne les conduit pas par la main comme des aveugles, en leur ordonnant d’avoir toujours les yeux baissés, pour leur découvrir un jour brusquement l’horizon de la vie. On ne leur déguise rien de ce qu’il faut bien qu’elles apprennent, puisqu’elles doivent être seules maîtresses de leur destinée. Aussi la choisissent-elles sans illusion et sans ivresse, et quand viennent les dégoûts ou les épreuves, il faut bien qu’elles les supportent sans murmure, puisqu’elles ne peuvent accuser qu’elles-mêmes de leurs erreurs et de leurs déceptions.
Quant aux hommes, elle ne leur est pas moins salutaire, cette rude école de l’expérience et de la liberté. Sitôt qu’ils commencent à penser, les voilà aux prises avec les nécessités positives de la vie ; les affaires, les intérêts, les travaux assidus de la profession qu’ils ont prise les absorbent, les façonnent, les marquent d’une empreinte un peu grossière peut-être, mais les sauvent en même temps de ces agitations maladives des âmes inoccupées qui énervent le caractère et rendent l’esprit stérile. Ils n’ont pas encore vingt ans, et à l’âge où, chez nous, les jeunes hommes cherchent leur voie, tourmentent la muse indocile, ou bien nagent dans les vagues rêveries d’une philosophie apocalyptique, ils songent à s’établir, à prendre femme, à fonder pour leur compte une maison de banque ou de commerce, à quitter l’hospitalité provisoire du toit paternel.
Que devient pourtant la famille ? Elle dure tant que le même foyer la tient réunie ; mais elle se relâche dès qu’elle se disperse, car elle n’a point pour se maintenir le lien des héritages et des intérêts communs. Vous savez qu’en Amérique la liberté des testamens est illimitée ; la seule restriction que les lois y mettent est en faveur, non des enfans, mais des femmes. Dans l’état de New-York, où, sauf stipulation contraire du contrat de mariage, tous leurs biens meubles tombent dans le domaine commun, elles succèdent de droit à un tiers des biens immeubles du mari. Ailleurs, dans l’Illinois si je ne me trompe, elles gardent tous leurs biens et leur administration indépendante. Toujours est-il que le droit de la femme prime celui des enfans ; sauf la réserve accordée à la femme, le père fait de sa fortune tel emploi qu’il lui plaît : il peut déshériter ses enfans sans qu’ils aient le droit de se plaindre, et souvent il ne leur laisse qu’une moindre part de son héritage. Plus souvent il en avantage un seul au détriment des autres ; il laisse par exemple le gros de sa fortune, soit à l’aîné, soit à l’un quelconque de ses fils, et vous savez qu’au Massachusetts les propriétés foncières ne se divisent presque jamais : l’aîné prend la terre, les cadets entrent dans le commerce,