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que les appels de fonds multipliés et simultanés ne portassent le trouble dans les affaires, en causant un grave préjudice non-seulement au crédit des compagnies, mais encore au crédit de l’état. En outre, les concessions demandées ne complétaient point le réseau général tel que le gouvernement l’avait conçu dans l’intérêt de toutes les parties du territoire : certaines régions auraient possédé plusieurs lignes, tandis que d’autres fussent demeurées complètement dépourvues de chemins de fer, parce que l’insuffisance présumée de leur trafic n’était point de nature à tenter les capitaux privés. Enfin, depuis que les premières branches du réseau commençaient à être exploitées, le public et l’état remarquaient les inconvéniens que présentait pour le service la multiplicité des compagnies : voyageurs et marchandises avaient à subir des embarras, des retards, des supplémens de prix, lorsque, pour faire un trajet quelque peu prolongé dans une même direction, ils devaient être transbordés d’une ligne sur l’autre, sans compter l’augmentation de frais généraux que cette dissémination de forces entraînait pour les compagnies, obligées d’avoir un personnel plus nombreux, un matériel plus considérable, des comptabilités distinctes, etc. Par ces divers motifs, le gouvernement jugea qu’il convenait de ne point recourir à des compagnies nouvelles, et il s’appliqua au contraire à réduire le nombre des compagnies existantes. De là le système des fusions, qui reçut en 1857 son application décisive et qui eut pour résultat de réunir entre les mains de six grandes compagnies la presque totalité du réseau français ; mais, si l’on préservait les compagnies des périls de la concurrence, on exigeait d’elles l’engagement d’entreprendre de nouvelles lignes, et l’on portait à plus de 16,000 kilomètres l’étendue des concessions. C’était, en deux ans, une augmentation de 5,000 kilomètres dont se chargeaient les compagnies, en échange de la sécurité qui leur était donnée. En même temps, tes travaux de construction marchaient avec activité : il y avait, à la fin de 1857, 7,453 kilomètres en exploitation, soit près de 2,000 kilomètres de plus qu’en 1855. Cependant, malgré ces efforts et ces progrès, la France demeurait encore de beaucoup en arrière de la Grande-Bretagne, où l’on comptait, à la même date, 20,000 kilomètres concédés et 14,000 exploités.

Il était donc urgent d’aviser. Malheureusement, après avoir déjà dépensé 3 milliards pour les chemins de fer et en face d’engagemens qui s’élevaient au moins à pareille somme, l’on se trouvait arrivé au point où il était plus facile de décréter un nouveau réseau que de le construire. Il devenait évident que les compagnies, même avec les ressources qu’elles puisaient dans leurs concessions quasi séculaires, dans l’appui moral de l’état, dans le système de fusion