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vaisseaux de guerre lourdement armés ; les coureurs de blocus, ces bâtimens minces et légers, peuvent seuls y passer à l’aise. On ne peut même pas bloquer toutes les embouchures. Au plus fort du feu, quatre blockade-runners pénétraient dans l’estuaire par des chenaux détournés. L’amiral croit pourtant que Wilmington tombera, mais à son tour, quand Sherman, remontant vers le nord et balayant l’ennemi du littoral, aura pris Charleston, et viendra fermer avec Grant le cercle de fer qui enlace Richmond. Là sera écrasée la dernière armée de la rébellion. Quant aux états de l’extrême sud, branches déjà séparées du tronc, ils tomberont comme des membres sans tête.

Les journaux de Richmond annoncent que l’armée de Lee est grosse d’un grand événement, et qu’elle va frapper un coup qui étonnera le monde. Elle semble en vérité s’étirer les membres et se secouer les épaules, comme un lutteur qui se prépare à quelque grand exercice musculaire. Les malheureux journalistes du sud sont depuis quelque temps si prodigues de charlatanisme que je crois bien que cette montagne accouchera d’une souris. On soupçonne que ce grand mouvement stratégique pourrait bien être l’évacuation de Richmond, où l’on ne trouve plus à vivre, et le déménagement du quartier-général de la rébellion, armée, président, gouvernement et gazettes officielles, à Danville, contrée plus riche et plus épargnée par la guerre. C’est le lièvre blessé qui se retire de gîte en gîte jusqu’à ce que les chiens le dévorent.

La fin de l’année ramène invariablement le déluge des statistiques. Les journaux constatent que l’année 1864 a été plus fertile que toute autre en accidens de chemins de fer. Les comptes tenus par le Herald donnent environ 500 tués sur place et au moins 2,000 blessés. Le total en paraît énorme, et je ne prétends pas dire que les chemins de fer américains soient sans reproche. Cependant, si vous considérez la multitude des voyageurs et l’immensité des distances, vous trouverez que la proportion des déchets n’est pas encore trop effrayante.

Vous voulez savoir la population des États-Unis en général et en détail celle des grandes villes ? Vous en demandez plus que les Américains n’en peuvent apprendre. Croyez-vous que la statistique soit régulière et scientifique aux États-Unis comme chez nous ? Où prenez-vous ces agens présens partout d’une administration centralisée ? Où prenez-vous ces recensemens exacts, consciencieux ? Où prenez-vous même, en Amérique, les registres de l’état civil[1] ?

  1. Les registres des décès et des naissances doivent être tenus par les clergymen des diverses communions et régularisés par le juge de paix. Ce dernier délivre aussi des actes de notoriété fondés sur la déclaration des témoins. Ce système imparfait donne lieu souvent à de grands désordres.