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arrachant au congrès quelques tonneaux de viande pour sa table et quelques bottes de foin pour ses chevaux. Lui-même, le prudent sénateur Foote, qui sort de la maison avant qu’elle ne tombe, ne dénonce dans son discours d’adieu que le mauvais gouvernement de Davis. Il invoque le despotisme en le maudissant.

Cependant le congrès de Richmond, assailli de motions pacifiques, les repousse avec indignation. A sa licence effrénée contre les personnes, la presse mêle encore des protestations de loyalisme rebelle. « La confédération, Dieu merci, n’est pas vaincue ! Deux fois elle a semblé mourante, et deux fois elle s’est relevée par un secours merveilleux de la Providence. Qu’elle y compte encore, la fortune lui réserve quelque miraculeuse occasion de salut. — Que seulement on en finisse avec Davis et sa tyrannie imbécile, et l’indépendance du sud est assurée. Plutôt périr d’ailleurs, plutôt accepter le patronage d’une nation européenne et s’abaisser au rang de colonie que de devenir les esclaves des nègres et les vassaux des Yankees ! »


28 décembre.

L’affaire canadienne vient de valoir aux États-Unis l’inauguration du système jusqu’alors inconnu des passe-ports. M. Seward, dans son ordonnance, indique bien que la mesure doit être temporaire et mise particulièrement en vigueur sur la frontière du nord ; il n’en est pas moins curieux de voir ce pays d’indépendance, de franchise illimitée, adopter une à une toutes les vieilles entraves discréditées de l’Europe, — douanes, passes militaires, passe-ports civils, police secrète, — et s’y soumettre avec une docilité dont nous n’avons pas nous-mêmes l’idée.

L’astre de M. Seward pâlit toujours, et en revanche celui des radicaux culmine. Quand l’auront-ils détrôné, et que gagnera-t-on à passer entre leurs mains ? Je pense qu’il vaudrait mieux garder M. Seward jusqu’à la fin de la guerre, et que la politique des Wendell Phillips ne serait bonne aujourd’hui qu’à prolonger et à ranimer la rébellion. Ces hommes qui proclament d’avance ce que l’avenir accomplira sont bons pour imprimer aux événemens le souffle de leurs idées, mais non pour tenir de leur main raide et brutale le gouvernail fragile de la politique exécutive. Quant au président, il joue toujours le même jeu. On s’en aperçoit au langage plus doux que tient sur son compte l’abolitionisme militant et extrême dont M. Wendell Phillips est l’organe, et qui reste par système à l’écart du gouvernement. Il y a un mois, M. Phillips ne parlait encore de M. Lincoln que comme d’un adversaire subjugué et réduit contre son vouloir à servir la bonne cause. Aujourd’hui, dans un grand discours prononcé à Cooper’s Institute contre le projet d’émancipation du général Banks (système ingénieux qui n’ôte de