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contraires qui avaient été adoptés en Angleterre et en Belgique[1].

A la fin de 1841, le nombre de kilomètres exploités en France était de 569 ayant coûté 165 millions, tandis que l’ensemble du réseau européen comptait en exploitation 9,281 kilomètres. Ces chiffres indiquent à quel point la France se trouvait en arrière de la Grande-Bretagne et des principales nations du continent. La loi de 1842 donna l’impulsion : six ans après, en 1848, il y avait en exploitation, sur le réseau français, 2,222 kilomètres ayant coûté 797 millions, soit 110 millions dépensés par l’état et 687 millions par les compagnies. L’industrie privée fournissait ainsi l’éclatante démonstration de ses forces. Elle pouvait revendiquer la plus grande part de l’œuvre accomplie : l’état n’était en quelque sorte que son auxiliaire, et il ne l’assistait que dans une proportion assez restreinte. Survint la révolution de 1848, qui tarit toutes les sources du crédit. Les capitaux se cachaient, le trésor était vide, et il fallait recourir à des taxes extraordinaires pour assurer les services publics. Certes le moment était mal choisi pour imposer à l’état les dépenses de la construction et la responsabilité de l’exploitation des chemins de fer. Le gouvernement de 1848 en eut cependant la pensée, qui ne put aller au-delà de la préparation d’un projet de loi. Avec quels fonds, sous quelle forme acceptable l’état aurait-il racheté les concessions et remboursé les dépenses déjà faites ? Comment aurait-il continué le réseau ? Les compagnies, sur lesquelles venait de peser par surcroît la menace de cette expropriation onéreuse autant qu’illégitime, se voyaient elles-mêmes réduites à l’impuissance ; elles subissaient les effets de la crise qui paralysait toutes les affaires, et elles n’avaient plus le crédit nécessaire pour exécuter leurs engagemens. De 1848 à 1851, il n’y eut pas de concessions nouvelles, les travaux furent sensiblement ralentis, et le développement du réseau français sembla indéfiniment ajourné.

Le gouvernement issu du 2 décembre avait donc un grand devoir à remplir, et ce devoir s’accordait avec son intérêt, car il lui importait essentiellement non-seulement de reprendre l’œuvre interrompue par la république, mais encore de dépasser les progrès réalisés ou promis sous la monarchie constitutionnelle. Au surplus, la question des chemins de fer s’imposait d’elle-même et avant toute autre à la sollicitude du pouvoir nouveau ; elle tenait le premier rang dans les ardentes préoccupations du public, et il est permis de dire sans exagération qu’elle était alors, pour le gouvernement comme pour le pays, la question vitale. Toutefois, après le temps d’arrêt subi depuis 1848, elle rencontrait les plus graves difficultés.

  1. L’historique des débats relatifs au régime des concessions a été exposé avec une grande clarté par M. A. Audiganne (les Chemins de fer aujourd’hui et dans cent ans).