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jusque-là exigé d’elle, se trouvait avoir rempli d’avance les trois quarts de son contingent. Ce monstrueux appel de 500,000 hommes avait donc été une régularisation du passé plus encore que la création d’une ressource nouvelle. C’est pour suppléer à l’insuffisance de ce premier appel que le président lève les 300,000 hommes qui devront à présent être fournis jusqu’au dernier. L’exonération, cet expédient fiscal d’une législation improvisée, qui laissait les cadres vides ou ne les remplissait qu’aux dépens des pauvres, est maintenant abolie[1] ; tout citoyen désigné par le sort doit partir lui-même ou donner un remplaçant. En même temps tous les soldats en congé et bons au service reçoivent l’ordre de rejoindre leurs régimens. Vous voyez qu’on pousse énergiquement la guerre, et qu’on n’est pas près de se laisser dépasser par cette supériorité du nombre dont les confédérés menacent les Yankees après l’enrôlement des nègres et la conscription des 150,000 jeunes gens qui, d’après leurs statistiques, doivent atteindre, l’an prochain, l’âge du service militaire.

Les mesures financières ne sont pas moins énergiques. Le congrès s’occupe d’un nouvel impôt de 25 pour 100, qui s’ajoutera aux tarifs de tous les chemins de fer, omnibus, bateaux à vapeur et voitures publiques des États-Unis. En même temps on propose une taxe additionnelle d’un cent sur tous les marchés sans exception. Non-seulement tout check, tout draft chez un banquier, toute facture, tout effet de commerce doit porter le timbre national, mais tous les petits objets de menu commerce sont frappés d’un droit de timbre presque égal à leur valeur. Vous ne pouvez acheter une feuille de papier, une boite de pastilles, un flacon d’eau de Cologne, une carte photographique sans qu’elle porte le passe-port du revenue-stamp. Dans ce pays, qui se fait gloire d’avoir enseigné au monde la doctrine du freetrade, les plus petites transactions, les moindres transports sont aujourd’hui frappés par l’état, comme s’il avait à cœur de suspendre le mouvement et la vie. Je ne blâme pas ces mesures de nécessité, pas plus que je ne blâme la ressource extrême de l’impôt sur le revenu. Quelle autre manière de faire face à une guerre dont les dépenses moyennes s’élèvent, au bas mot, à 2 millions de dollars par jour ? Je veux seulement vous montrer combien les cordes sont tendues, et quelle profonde transformation s’est accomplie en quelques années dans le régime économique de ce peuple, autrefois libre d’entraves, aujourd’hui bridé, garrotté dans tous les sens.

La dette cependant grossit toujours, et la planche aux assignats n’est pas oisive. On a imaginé, pour relever la valeur du

  1. Voyez, sur le système de la conscription, la Revue du 1er septembre 1865.