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Charles-Edouard d’Angleterre, il avait promené sa fortune humiliée à travers les montagnes de son pays ; cent soixante-six ans avant le prétendant anglais, il vint montrer à l’Europe ce que c’est qu’un prince portant partout l’inquiétude et l’embarras du proscrit découronné toujours dans l’attente d’une occasion. Dom Antonio avait passé trois mois à se dérober aux Espagnols, qui le poursuivaient avec âpreté et qui surveillaient toutes les côtes pour l’empêcher de fuir. Philippe II tenait à l’avoir entre ses mains. Ce ne fut qu’à l’adresse de quelques amis que le prieur de Crato dut de pouvoir s’embarquer le 6 janvier 1581 sur un bâtiment flamand qui l’amena en France. C’est alors le roman de l’exil qui commence pour lui, roman plein d’agitations, d’aventures nouvelles, de décevantes poursuites, de misères et de dangers. Il ne faut pas traiter à la légère ce bâtard illustre, qui n’a guère de place dans l’histoire, et qui a laissé comme un reflet fugitif de son passage dans tous les mémoires contemporains. Tant qu’il avait été en Portugal, offrant au moins un point d’appui, si équivoque et si faible qu’il fût, pour une politique de résistance aux desseins espagnols, on n’avait rien fait pour lui, on ne l’avait même pas reconnu ; proscrit, il fut traité en roi par la France et par l’Angleterre. Il fut reçu au Louvre par Henri III et Catherine de Médicis, cette autre prétendante à la couronne de Portugal, qui n’avait peut-être songé à parler de ses droits, selon la maligne remarque d’un vieil historien, « qu’afin de faire croire qu’elle était d’assez bonne maison pour prétendre à la succession d’un royaume. » Dom Antonio eut son entrée à Paris et fut l’hôte du Louvre. En Angleterre, la reine Elisabeth l’accueillit aussi en souverain, « de façon à lui faire tout espérer. » C’était toujours une arme dont on pouvait se servir contre Philippe II. Dom Antonio mettait là ses espérances, et deux fois en quelques années effectivement il put croire encore qu’il touchait de la main son mirage, que ses espérances allaient devenir une réalité.

Une première fois, en 1583, Catherine de Médicis lui donna toute une flotte, six mille hommes et Strozzi pour aller prendre position aux îles Terceires, où flottait encore son drapeau. Le roi portugais alla s’embarquer à Nantes avec ses compagnons d’exil et nombre de gentilshommes français. Beaucoup de huguenots, heureux d’aller combattre l’Espagnol, étaient de cette expédition aventureuse. Tout marcha bien d’abord ; on débarqua aux Terceires, on triomphait. Une bataille navale engloutit toutes les espérances ; Strozzi fut tué dans le combat, la flotte fut dispersée, et le conquérant portugais revint à grand’peine en France ; il aurait pu donner son royaume pour un vaisseau. Une seconde fois, quelques années après, la reine Elisabeth donnait à dom Antonio une escadre avec l’amiral Drake